Emmanuel Ruben : Malville

Malville   par  Emmanuel Ruben.

Stock (2024) 263 pages.

 

 

Malville, d’Emmanuel Ruben est à la fois un roman d’anticipation et un roman d’apprentissage.

 

 

L’histoire débute en 2036, dans une France gouvernée par l’extrême-droite. Le narrateur, Samuel Vidouble vit confiné dans sa cave à la suite d’un accident nucléaire sur le site de la centrale de Malville sur lequel avait été lancé en 2027 le chantier d’un réacteur à neutrons rapides de 4ème génération – la  nouvelle centrale s’appelait ASTRID. Son constat est amer, le virus nucléaire a tué son père, causé le cancer de son premier amour, ravagé les paysages de son enfance et rendu l’air irrespirable.

 

 

Pour comprendre cet enchaînement de faits, il va en quelque sorte remonter le temps et se souvenir…

 

 

Il revit son enfance des années 80, dans la cité EDF, semis de pavillons, son père travaillant à LA centrale, le nombril de leur monde. À l’école, comme ses camarades, italiens, belges, espagnols, portugais ou allemands, ils étaient appelés « les gosses de la centrale », leurs pères ayant tous rappliqué pour y travailler. Plus tard, à la suite de la chute du mur puis de l’éclatement de la Yougoslavie, ce seront les Roumains, les Polacks, les Turcs, et les Serbo-Croates qui les rejoindront, leurs pères à eux, pour des emplois dans le BTP ou pour les sous-traitants d’EDF, bref de « la chair à neutrons »…

 

 

Sur les bords du Rhône, il grandit donc près de la centrale de Malville dans l’Isère et avoue avoir mis des années à comprendre qu’il s’agissait d’une centrale nucléaire et que son père exerçait un métier réellement toxique.

 

 

Il va se lier d’amitié avec Tom, un garçon sauvage qui vit sur l’île des Brotteaux et qui le sauve lors d’une rencontre avec le fleuve qui manque lui être fatale. Une autre rencontre, celle avec Astrid, une adolescente révoltée, prendra ensuite beaucoup d’importance dans sa vie.

 

 

Emmanuel Ruben prospecte avec beaucoup de talent, géographiquement et politiquement, cette France périurbaine. Il explore et constate les conséquences sanitaires et environnementales de nos « choix » énergétiques qui bouleversent irrémédiablement notre rapport au monde, à la terre et au vivant.

 

 

Tout en faisant le procès du nucléaire, énergie par essence militaire et antithétique aux principes d’une société démocratique comme l’affirme dans le roman, le professeur de philosophie, Malville est une véritable ode à l’enfance, à la liberté, à la nature et particulièrement au fleuve !

 

 

On ne peut qu’être séduit par l’imagination débridée de Sam (Samuel). Cet enfant passionné par les lichens et les champignons, sans cesse attiré par l’appel du fleuve, invente d’abord une langue avec son frère de manière à ne pas être compris des parents, le kelmagi. Il  se lance ensuite dans l’écriture d’un roman zyntarien…

 

 

Le récit de sa première descente du fleuve en canoë jusqu’au défilé de Malarage, encadrée par les moniteurs du centre aéré est de toute beauté et d’une poésie bouleversante. Voyant pour la première fois l’envers du paysage, Sam voit défiler les clochers dans un film au ralenti, et notamment celui de l’église de Brangues (photo ci-dessus) sous lequel se serait déroulé le drame ayant inspiré à Stendhal l’intrigue du Rouge et le Noir.

 

 

Beaucoup d’émotions m’ont assaillie au récit de la bataille de Malville par Marcel, le père de Tom. Il rappelle la création de cette première ZAD, l’arrivée de tous ces jeunes européens venus pour sauver le monde, Malville qui devient le centre du monde lors de la manifestation monstre du 31 juillet 1977 pour empêcher la construction du « volcan ». Mais à des scènes de liesse vont succéder des scènes de guerre avec la charge des CRS et des gendarmes mobiles qui vont conduire à la mort de Vital Michalon, un adepte de la non-violence. Rappel est fait également de Rémi Fraisse une autre victime des forces de l’ordre tué alors qu’il participait à une mobilisation contre le barrage de Sivens, en 2014.

 

Malville est un superbe roman initiatique dans lequel on voit Sam prendre peu à peu conscience des dangers du nucléaire et oser affronter les idées de son père, et où on assiste à ses premiers émois et à sa découverte de la sexualité.

 

Ce fut un vrai régal de retrouver l’actualité des années 80 et 90 vue par le prisme des yeux d’un enfant ayant grandi sur les bords de ce Rhône près duquel j’habite quelques soixante kilomètres plus en aval.

 

Quant à la dystopie faisant état d’un accident nucléaire, elle fait froid dans le dos en ces temps où le gouvernement relance avec force la filière nucléaire française et que les tendances mondiales placent le nucléaire au cœur des stratégies énergétiques.

 

Les risques liés au nucléaire sont minorés de façon outrancière quand ils ne sont pas tout simplement occultés.

 


Malville d’ Emmanuel Ruben est un roman intense qui m’a séduite de bout en bout.

 

Ghislaine

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D
ça me fait penser à Malevil, le roman de science-fiction post-apocalyptique de Robert Merle, paru en 1972 que j'avais lu à l'époque !
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