Étienne Kern : La vie meilleure
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La vie meilleure par Étienne Kern.
Gallimard (2024) pages.
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J’ai été une nouvelle fois conquise par la plume d’une grande sensibilité de Étienne Kern.
Après Les Envolés, couronné du Prix Goncourt du premier roman 2022, Étienne Kern nous propose en cette rentrée littéraire 2024 un nouveau roman La vie meilleure.
Il y dresse le portrait de cet homme né en 1857 à Troyes et mort à Nancy en 1926 et dont on a oublié qu’il a été une célébrité et qu’il jouissait d’une renommée internationale au tournant du vingtième siècle. L’auteur, pour nous le rappeler, nous le fait apparaître dès les premières pages du livre, arrivant à New-York il y a un siècle, le 4 janvier 1923 à bord du Majestic. Le plus gros paquebot du monde à quai, il s’apprête à descendre quand une équipe de reporters surgit.
Il pense qu’ils sont là pour le ministre ou pour Stanislavski, le célèbre metteur en scène, à bord avec toute la troupe du Théâtre d’art de Moscou, mais non, c’est lui qu’ils viennent voir, lui, le guérisseur, le maître, miracle man. Et pourtant, rien ne le prédisposait à cette destinée.
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Étienne Kern retrace sa carrière, comment cet homme est devenu le père de la pensée positive et comment lui est venu l’idée de cette Méthode : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux ». Cette phrase, véritable mantra, ayant même inspiré une chanson à John Lennon (photo ci-dessous) !
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Bon élève, Émile veut devenir chimiste mais son père refuse car les études sont trop longues et trop coûteuses. Voulant plaire à celui-ci, il devient pharmacien. Il rencontre Lucie qui vient de Nancy, Lucie Lemoine dont le père est horticulteur, il est même une sommité dans son domaine. Ils se marient en 1884 (photo ci-dessous).
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C’est autour de cette année-là, qu’Émile découvre par hasard l’effet placebo en préparant dans son arrière-boutique un mélange banal d’eau distillée, de sucre et de colorant pour une cliente très souffrante et qui n’a pas d’ordonnance. Il la met sérieusement en garde contre la dangerosité du produit, et lui enjoint de ne surtout pas dépasser la dose prescrite. Le remède se révèle une merveille et ce sera pour Émile une leçon qu’il méditera jusqu’à sa mort : l’imagination fait tout !
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Photo ci-dessus : Clématite Lucie Lemoine.
Il a trouvé la solution, l’illusion est un secours, il a quelque chose pour nous : vous irez mieux demain, vous aurez une vie meilleure.
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Grâce à la guerre, à cause de la guerre, la Méthode Coué décolle vraiment et Émile est sollicité comme jamais et dit toujours la même chose et toujours avec une forme de tendresse, l’imagination qui sauve, l’autosuggestion qui soigne.
Parler ne suffit pas, en 1921, il publie un livre « La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion », qui obtient un immense succès.
On ne peut pas lui en vouloir car il ne demande rien, pas d’argent et ne peut être accusé d’exercice illégal de la médecine, ne dissuadant jamais personne d’aller voir des professionnels.
En 1936, dix ans après sa mort, Émile aura même son buste au parc Sainte-Marie à Nancy. Pourtant, après sa disparition, tout s’écroule, la psychanalyse prend le relais.
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En s’intéressant dans les deux cas à l’histoire vraie d’inventeurs plus ou moins perdants, les deux romans d’Étienne Kern forment vraiment un diptyque.
Dans le premier était mis en scène le destin tragique de Franz Reichelt, cet inventeur du parachute qui ne s’ouvre pas, et dans celui-ci, la vie singulière d’Émile Coué qui a donné naissance à la fameuse Méthode éponyme.
Dans les deux récits, l’auteur a trouvé des résonances avec son propre vécu. Il s’est servi des Envolés pour parler de son grand-père et d’une amie, et dans La vie meilleure pour évoquer deux êtres qui lui étaient tout aussi chers, sa marraine et son parrain, Irène et André.
Laissant parler son imagination pour combler les manques, l’auteur fait revivre l’inventeur avec beaucoup de sensibilité. Il fait le parallèle avec Irène et André qui cultivaient la joie autour d’eux, comme le couple Coué et ce avec une extrême délicatesse.
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J’ai aimé la simplicité et la justesse avec laquelle l’auteur exprime l’espoir que donnait Coué à tous ces gens, au monde en raccourci, qui attendaient, qui espéraient aller mieux dans leur tête, dans leur corps… Et l’écrivain de se poser la question « Suis-je si différent d’eux ? Ils attendent, ils espèrent. J’écris. C’est pareil. C’est fuir. C’est se mentir. C’est regarder le monde, le grand réel vide et creux, et lui donner de beaux habits, le colorer de mots, tout miser sur ces mots. »
N’est-ce pas d’ailleurs l’attente de chacun ?
J’ai été happée par le style d’Étienne Kern (photo ci-dessous) qui procède par petites touches, tel un impressionniste pour parler avec des mots simples de joie illusoire. Il rend ainsi hommage à ceux qui cherchent coûte que coûte une place pour la joie, célébrant de manière fort émouvante ceux qu’il aime.
La vie meilleure est un livre sur la foi, le fait de croire, un livre sur un homme qui croyait au pouvoir des mots et de l’imagination, un précurseur du développement personnel, que j’ai beaucoup apprécié, comme j’ai aimé la mise en relation avec le métier d’écrivain : « Écrire, c’est cesser d’affronter. C’est l’aveuglement heureux. C’est une joie qu’on s’invente. »
Ghislaine