Andreï Makine : Prisonnier du rêve écarlate
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Prisonnier du rêve écarlate par Andreï Makine.
Grasset (2025) 413 pages.
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Membre de l’Académie française, Andreï Makine est un immense romancier, un excellent écrivain dont la plume m’a conquise, une fois de plus avec Prisonnier du rêve écarlate.
Auparavant, j’avais pu apprécier trois autres de ses romans : Le testament français, Une femme aimée et L’Archipel d’une autre vie, sans oublier La vie d’un homme inconnu, lu par Ghislaine.
Prisonnier du rêve écarlate débute par un prologue qui met tout de suite dans l’ambiance car voilà un cinéaste franco-polonais qui prépare un film sur les communistes de l’Ouest venus vivre le rêve écarlate en URSS. Abandonné subitement par l’équipe du film, le narrateur est mis en présence d’une vieille femme qui lui raconte l’histoire de Matveï Bélov, consignée dans des carnets ; c’était justement l’homme qu’ils recherchaient.
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Aussitôt, je plonge dans cette histoire passionnante faite de bons et surtout de très mauvais moments révélateurs d’une époque, de ce XXe siècle marqué par deux guerres mondiales et par l’effondrement d’un rêve : cette utopie marxiste, ce communisme qui a beaucoup tenté, avant de sombrer.
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Matveï Bélov a été amnistié fin septembre 1957. Il a été libéré un mois plus tard, interdit de résidence dans les grandes villes. Il avait été blessé en 1944, accusé de trahison, condamné à huit ans de travaux forcés. Libéré, il a été relégué à Pinéga (photo ci-dessus), bourg rural de l’oblast d’Arkhangelsk, dans la taïga.
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Dès le début, je suis intrigué par ce double qui hante Matveï alors qu’il erre sous la neige et qu’il est enfin recueilli par Daria, dans son isba, à Tourok. Tout de suite, violence et férocité se font une place au cours d’un épisode angoissant et plein de suspense.
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Tourok est à douze kilomètres du chef-lieu, Pinéga, et c’est un site militaire déserté par l’armée, site que Daria doit garder. C’est là que Matveï raconte et retrouve qui est son double : Lucien Baert.
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Retour en arrière, à Douai, où Lucien est né le 10 novembre 1918. Son père se tue en tombant d’un toit alors que Lucien n’a que 6 ans et demi. Dès l’âge de 16 ans, il entre dans les Jeunesses communistes, lit beaucoup et rêve de la vie en URSS où Staline qu’il admire, règne en maître. Lucien est vraiment engagé pour faire cesser la servitude ouvrière. C’est pourquoi il n’hésite pas à demander à faire partie d’une délégation du Parti communiste qui part de Paris le 16 août 1939, pour un voyage d’étude en URSS. Je note au passage qu’un ouvrier de la chaussure de Romans est l’un des vingt membres de ce groupe.
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Grâce à ses lectures de Gorki, Lucien connaît le russe et traduit les slogans affichés partout. Déjà, cette société policée l’inquiète et, lors de la visite d’une usine de roulements à billes, il découvre la comédie qui leur est proposée. C’est la même chose dans un kolkhoze alors qu’il apprend, horrifié, le traité de non-agression signé entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique.
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C’est quand le train, emmenant le reste de la délégation, part sans lui, que l’histoire de Lucien bascule vraiment. Andreï Makine (photo ci-dessus) raconte cela de façon très délicate. C’est tout en nuances mais efficace. De nombreux détails terribles et éloquents émaillent le récit et c’est passionnant.
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Lorsque celui qui s’appelle Matveï Belov – vous saurez pourquoi en lisant le livre – réussit à revenir en France, Prisonnier du rêve écarlate change et devient un révélateur d’une époque pas si lointaine. Il est redevenu Lucien Baert et une jeune journaliste ambitieuse lui permet d’écrire ce qu’il a vécu. Andreï Makine rend précisément ce que Lucien doit vivre, les paliers par lesquels il doit passer pour découvrir, s’habituer à ce monde trente ans plus tard.
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L’auteur retrace l’actualité, les événements importants parfois oubliés. Fin des années 1960 et années 1970, il tente de vivre dans le monde futile des bobos parisiens et, ce que j’espère vraiment se produit mais je n’en dit pas plus… Si, je dois signaler que Makine égratigne Soljenitsyne et que c’est bien expliqué.
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Prisonnier du rêve écarlate m’a procuré beaucoup d’émotions. Que de leçons que ces vies humaines ravagées par la concupiscence, la corruption, l’agent, son poids, l’incompétence et ce goût du pouvoir qui embarque les meilleures idées, les plus généreuses, vers l’absurdité absolue !
Jean-Paul