Ruben Barrouk : Tout le bruit du Guéliz

Tout le bruit du Guéliz   par  Ruben Barrouk.

 Albin Michel (2024) 213 pages.

 

 

 

 

Tout le bruit du Guéliz est un roman délicieux, un régal de littérature empreint d’une humanité profonde. En écrivant cela, Ruben Barrouk remet à leur place les juifs marocains qui ont été obligés de fuir leur pays dès que la guerre des Six Jours a opposé Israël aux pays arabes voisins, en juin 1967.

 

 

Dans son roman, Ruben Barrouk, rencontré et écouté lors des Correspondances de Manosque 2024, m’emmène à Marrakech ; pas le Marrakech envahi de touristes, sous la chaleur. Non. Il fait gris et la pluie ne tarde pas à s’inviter à la fin du séjour qu’il fait, là-bas, chez sa grand-mère, avec sa mère.

 

 

Pourquoi sont-ils venus de France passer quelques jours auprès de cette femme de 87 ans encore bien vaillante et active ? La cause en est ce bruit dont la grand-mère se plaint à ses quatre enfants. Charly, Michel et Sabrina laissent Annie et son fils de 24 ans, l’auteur, aller sur place tenter de trouver la source de ce bruit qui empoisonne la vie de Paulette, la grand-mère. Puisqu’il ne s’agit pas d’acouphènes, il faut chercher autre chose.

 

 

Quand on arrive à Marrakech, impossible de ne pas parler de la Koutoubia, ce mirador dominant la ville. Dans cette ville où sa mère avait grandi, les choses ont bien changé. Elle s’est développée mais un panneau publicitaire attire l’attention :

 

« Visitez les vestiges du Mellah, le vieux quartier juif de Marrakech. »

 

C’est là que je repense au délicieux petit livre d’Hélène Perez Gans : Marrakech la Rouge, les Juifs de la Médina.

 

 

La grand-mère est vêtue de sa gandoura rouge. Elle est maigre et imprévisible, très attachée aux traditions juives qu’elle est à peu près la seule à perpétuer dans la ville mais que de tendresse dans la description très soignée de cette femme qui adore le chocolat Lindt et qu’on ne manque  pas de lui apporter !

 

 

Surtout, il y a ce bruit que la grand-mère est la seule à entendre. Elle accuse même les voisins du dessus mais ils sont absents.  Heureusement, cette quête d’un bruit dont l’origine n’est absolument pas évidente, se complète de quelques sorties dans Marrakech et d’une chronique familiale, intime, discrète. Shabbat, Pourim, les fêtes juives sont là aussi car la religion est très prégnante.

 

 

Alors, voilà grand-mère, fille et petit-fils dans le Mellah, l’ancien quartier dont tous les juifs sont partis pour ne plus jamais revenir. Ils rencontrent des artisans et surtout des souvenirs mais c’est dans le cimetière juif, le Miaara (photo ci-dessous) que l’émotion monte d’un cran car 20 000 tombes sont  là, comme ces tombes d’enfants emportés par le typhus et ne comportant aucune inscription. Un frère et une sœur de la grand-mère sont là, morts à 5 et 4 ans.

 

 

Les mausolées impressionnent et c’est dans celui du Rav Hanania Hacohen qu’ils prient pour l’implorer de  faire cesser le bruit. Quelques retrouvailles émaillent leur parcours mais quand on leur parle du grand-père, Simon, qui était tailleur, que la grand-mère s’éloigne. Pour elle, remuer les souvenirs, c’est remuer amour et haine et c’est difficile à supporter.

 

 

Il y a aussi un long voyage en taxi dans le Maroc profond et Ruben Barrouk fait apprécier son style un peu emphatique parfois. La route d’Achbarou les mène vers l’Ourika, tous les trois, et ils vont se recueillir dans des mausolées où reposent deux saints. Il arrive même que la grand-mère rie et que son rire déclenche le fou-rire de la fille et du petit-fils…

 

 

Le retour au Guéliz (photo ci-dessus), toujours dans le taxi de Bouriel qui est Amazigh, c’est-à-dire Berbère, signe la fin du séjour à Marrakech et la grand-mère est triste de rester seule avec ce fameux bruit mais les moments intenses d’intimité et d’amour familial n’ont pas de prix.

 

 

Dans ce roman intime et fort, Ruben Barrouk (photo ci-dessous) m’a fait entrer dans la vie de ces juifs qui, comme beaucoup d’autres, ont dû tout laisser sur place pour préserver leur vie. Bonne nouvelle, le 13 mars 2022, le premier vol régulier entre le Maroc et Israël a laissé l’espoir fou de voir revenir les juifs d’origine marocaine.

 

 

Comme le dit si bien l’auteur, le bruit du décollage de l’avion a couvert le bruit, Tout le bruit du Guéliz.

 

Jean-Paul

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A
J'ai découvert cette communauté et quelques unes de ses coutumes grâce à ce roman.
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M
Il ma plairait beaucoup mais malheureusement il n'est pas dans mes deux médiathèques...dommage !
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