Christian Astolfi : L'œil de la perdrix
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L’œil de la perdrix par Christian Astolfi.
Le bruit du monde (2024) 228 pages.
En février 1903, à Belgodère (photo ci-dessous) en Haute-Corse, enroulée dans un lange, est déposée devant la porte d’une maison qui deviendra la sienne une enfant abandonnée : Rose. À seize ans, enceinte, elle se marie avec Paul-Dominique, berger.
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Pendant vingt-ans, elle ne sait rien de son origine et ce n’est que lors de la perte brutale de leur troisième fils, qu’elle la découvre.
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Deux ans après, elle met au monde une fille : Nonciade.
En octobre 1924, la famille embarque pour le continent dans l’espoir d’une vie meilleure. Par l’intermédiaire d’un bailleur, Paul-Dominique a trouvé un petit logement de deux pièces dans le nord de Toulon.
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1957, Paul-Dominique vient de prendre sa retraite après trente ans passés à l’atelier d’usinage à l’Arsenal Maritime. Un matin, au retour du marché, Rose, qui a emprunté la route caillouteuse longeant le bidonville pour rentrer chez elle, pose imprudemment son pied en porte-à-faux et se retrouve à terre. La cheville enflée, elle se relève, une femme lui propose alors de l’aider et la raccompagne chez elle.
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Peu à peu, une amitié va naître entre Rose et Farida, sa bienfaitrice, qui vit depuis peu dans le bidonville de Toulon. Elle vient de quitter Ghardaïa en Algérie avec ses trois enfants pour rejoindre son mari Rachid, le marteau-piqueur entre les mains à longueur de journée, parti deux ans plus tôt. Heureusement, dit-elle, pour contrer tous les dangers qui les guettent, bien pire que tous leurs serpents du désert, elle est protégée par l’œil de la perdrix, ce petit losange tatoué sur son front, qui protège du mauvais sort.
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Cette amitié va changer le cours de leur existence et leur permettre de prendre la mesure du monde qui les entoure. Ensemble, elles vont évoluer, s’émanciper et détourner les règles imposées par leur classe sociale et leur condition de femmes.
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Tout commence vraiment quand Farida propose à Rose de venir avec elle, le jeudi, à la Bourse du travail où avec d’autres femmes du camp, elles apprennent à lire et à écrire. Rose pense alors que Farida a lu en elle et a tout compris d’elle qui ne s’est jamais vraiment remise de sa visite chez le rebouteux quand elle était gamine et s’était blessée à l’œil. L’homme, après lui avoir ôté la minuscule pointe végétale plantée dans sa cornée s’aperçoit en lui faisant un test de vision qu’elle ne sait pas lire, « vérité bien plus piquante que l’épine qui a abîmé sa cornée ».
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De la Première guerre mondiale, Rose a peu de souvenirs mais les traces de la Seconde sont encore bien tenaces, cette guerre ayant emporté la plupart des hommes de son village, lui ayant en outre infligé dans la chair une blessure dont elle ne peut guérir.
Et, quand elle découvre à partir de l’année 1959, « les événements » qui se déroulent en Algérie et par ricochet en métropole, elle s’aperçoit que cette guerre ne ressemble en rien à celles qu’elle a connues. On assiste au début de son engagement militant.
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Ces terribles « événements » et notamment le massacre du 17 octobre 1961 avec la répression meurtrière par la police française d’une manifestation pacifique d’Algériens organisée à Paris dans ce contexte d’indépendance algérienne sont bien sûr évoqués. Plus que les faits eux-mêmes, absolument abominables, Christophe Astolfi s’est attaché à montrer ce qui a précédé et ce qui a suivi, ces vies dévastées comme celle de Farida qui cherchera, en vain, à avoir des nouvelles de son jeune frère Messaoud, terrassier à Nanterre.
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Sublime et bouleversante histoire d’amitié, de sororité entre deux femmes du peuple, deux femmes simples, déracinées, exilées qui auraient dû rester silencieuses, surtout à cette époque et qui, bien que séparées par leurs origines géographiques, apprennent à se connaître et à devenir complices, évoluant ensemble, réussissant à fusionner pour arriver à s’échapper de la fatalité et à gagner leur liberté.
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Encore une fois, si j’ai découvert L’œil de la perdrix de Christian Astolfi, c’est grâce à ma médiathèque. Celle-ci l’a en effet inscrit dans son Prix des lecteurs des 2 Rives 2025, une excellente initiative qui m’a permis de savourer ce superbe roman ancré dans la France de la guerre d’indépendance de l’Algérie, mais dont les thèmes principaux immigration, racisme, sororité, émancipation des femmes sont toujours d’actualité.
Ghislaine