Sasha Vasilyuk : Le Loup du Donbass

Le Loup du Donbass   par  Sasha Vasilyuk. 

Traduit de l'anglais par Marie-Axelle de La Rochefoucauld.

Titre original : Your Presence is Mandatory.

 Charleston (2024) 444 pages.

Le loup du Donbass, superbe roman historique de Sasha Vasilyuk, parcourt soixante-dix ans d’histoire ukrainienne à travers le destin de Yefim Schulman.

À Donetsk en Ukraine, en 2007, quelque temps après la mort de celui dont sa famille célébrait le courage pour avoir défendu son pays pendant la Seconde Guerre mondiale, sa veuve, Nina, découvre dans ses affaires rien moins qu’une lettre datée d’avril 1984 adressée au KGB !

Retour en arrière, alors, en juin 1941, où l’on retrouve Yefim, jeune artilleur, une foi inébranlable en Staline, envoyé au front au moment où l’Allemagne déclare la guerre à l’URSS.

Son désir de défendre son pays, de montrer à sa famille juive ce dont il est capable, de leur prouver qu’il n’est plus le petit « Fimochka », va rapidement être anéanti lorsque son régiment se retrouve pris en embuscade. Blessé à la main droite, son pouce et son index sectionnés, il va avec un peloton de sept hommes tenter d’avancer vers l’est pour rattraper le corps de l’Armée rouge mais ils sont pris par les Allemands. Fait prisonnier, il va devoir ruser, mentir pour survivre. Il va ainsi passer presque la totalité de la guerre soit en tant que prisonnier, soit en tant que travailleur forcé déporté dans les fermes allemandes en tant que Osterbaiter (travailleurs de l’Est). Ce n’est qu’en avril 1945, enfin libre, qu’il pourra se joindre, depuis Niegripp à l’Armée rouge pour marcher sur Berlin.

Tout le monde le savait : les prisonniers étaient considérés comme des déserteurs, des lâches, aussi, pour survivre, Yefim va devoir mentir toute sa vie à sa femme, ses enfants et petits-enfants, à toute la société ou presque avec les répercussions que cela peut entraîner. Cette vie de famille, on la  découvre peu à peu, savamment intercalée entre le récit de la guerre.

C’est un récit vraiment passionnant et instructif que nous livre Sasha Vasilyuk, récit basé sur des faits réels. L’analyse psychologique des personnages est remarquable. Les conséquences des mensonges de Yefim, mensonges qu’il devra réitérer, la paix revenue, tout en étant toujours menacé d’être découvert sont redoutables. Si Yefim a combattu l’ennemi, il a dû également se battre dans sa propre patrie pour éviter le goulag  et le déshonneur pour sa famille.

Le loup du Donbass de Sasha Vasilyuk m’a permis de découvrir ce statut d’Osterbaiter. Il  concernait les déportés par les nazis qui habitaient les territoires occupés de la Russie, de l’Ukraine et de Biélorussie. Leurs droits et condition s’apparentaient à ceux des détenus des camps de concentration. Le pire étant qu’à la Libération, lorsqu’ils rentrèrent en Union soviétique, ils furent souvent considérés comme des traîtres et pour cela taisaient le plus souvent cet épisode de leur vie même à leurs proches. Difficile d’imaginer que la situation n’a changé qu’à partit des années 1990, que d’années de souffrance…

Sasha Vasilyuk (photo ci-dessus) développe avec talent l’histoire tumultueuse entre l’Ukraine et la Russie, rappelant au fil des pages cet odieux régime de Staline, de cette épouvantable et horrifique famine ukrainienne organisée, appelée Holodomor (photo ci-dessous), à ces millions de prisonniers de guerre envoyés dans des camps de travail après la guerre.

Au vu des agissements du dictateur actuel de la Russie et du conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine, je ne peux guère qu’être en complet accord avec Lina, épouse de Yefim, lorsqu’elle affirme que «  le fait que l’Union soviétique ait si longtemps nié ces vérités prouvait qu’elle était pourrie en son cœur même... »

Ce premier roman m’a captivée de bout en bout tant l’histoire de ce vétéran juif ukrainien de la Seconde guerre mondiale, ce survivant hanté par son passé, est bouleversante et j’ai vraiment été happée par le destin inoubliable de cette famille.

Un roman édifiant, à lire absolument !

Ghislaine