Philippe Collin : Le barman du Ritz

Le barman du Ritz   par  Philippe Collin.

Albin Michel (2024) 412 pages.

 

 

 

 

 

Pour son premier roman, Philippe Collin, bien connu des auditeurs de France Inter, a visé haut et juste avec Le barman du Ritz.

 

 

 

Au travers du parcours de Frank Meier, l’auteur a romancé juste ce qu’il fallait pour m’entraîner, m’intriguer, m’émouvoir, me révolter parfois, dans ce haut lieu du luxe parisien : le Ritz. Si ce roman n’est pas une biographie, il est basé sur des faits réels.

 

 

 

 

Place Vendôme, ce grand hôtel qui appartient à une famille suisse, en a vu défiler des célébrités durant la Seconde guerre mondiale, des crapules, des collabos, des généraux allemands et toutes et tous ont été servis par celui qui fut qualifié un temps comme le meilleur barman du monde : Frank Meier.

 

 

Cet homme qui a combattu dans les tranchées, à Verdun, sous les ordres d’un certain Pétain, a tenté de faire son travail et de se montrer un vrai citoyen. S’il est juif, il le cache pour sa sécurité. Il a la cinquantaine et vingt ans de maison. Réputé pour ses fameux cocktails, il ne cesse de régaler, d’enivrer les clients du bar, avec la plus grande dignité.

 

 

Dès le 14 juin 1940, la crème de la Wehrmacht fréquente le Ritz. Philippe Collin présente de nombreux personnages comme ce Charles Bedaux qui aime les nazis et ne rêve que d’obtenir un ministère à Vichy.

 

 

Frank Meier aussi retrouve le colonel Hans Speidel, aide de camp du général Otto von Stülpnagel, commandant en chef des troupes allemandes en France et… client du Ritz. Speidel sera arrêté par la Gestapo le 7 septembre 1944 parce qu’il faisait partie de la conspiration visant à assassiner Hitler.

 

 

Épisodiquement, l’auteur insère un extrait de ce qu’il nomme « Journal de Frank Meier ». Ce journal, il le précise au début du livre, est fictif mais il permet d’apprendre encore plus de choses sur la vie de Frank Meier, né le 3 avril 1884 dans le Tyrol autrichien. À 14 ans, il est parti pour New York où il a appris son métier. Lorsque la Première guerre mondiale se déclenche, il s’engage dans la Légion étrangère pour défendre la France.

 

 

Revenu à Paris, il devient de plus en plus célèbre et il est recruté par le Ritz où défilent des célébrités comme Hemingway ou Arletty. Si Hans Elmiger est le directeur général du Ritz, le patron se nomme Claude Auzuello et, Blanche, son épouse, fait fondre notre barman. Américaine, Blanche est née Rubinstein et comme le jeune Luciano, personnage créé par Philippe Collin (photo ci-dessous), elle est juive. Or, Frank Meier est fier de voir Pétain diriger la France alors que, le 1er juillet 1940, il découvre dans Paris le premier panneau : « Interdit aux juifs ».

 

 

Voilà aussi la propriétaire, la veuve Marie-Louise Ritz, qui déteste Blanche et tente d’imposer sa volonté de bourgeoise conservatrice et antisémite. À sa façon, Frank réussit à contrecarrer son influence.

 

 

Pendant que Herman Göring s’installe au Ritz et n’a de cesse de piller les trésors culturels de notre pays, les jours défilent. Fidèles du Ritz, voilà Sacha Guitry, Jean Cocteau, Serge Lifar, Gabrielle Chanel, Léautaud, Jouhandeau, Giraudoux, Louis-Ferdinand Céline, Christian Dior, Pierre Balmainqui seront tous accusés de collaboration avec l’ennemi. L’écrivain allemand, Ernst Jünger passe souvent aussi.

 

 

Face à eux, Frank Meier fait son travail avec la peur au ventre au fur et à mesure que les rafles, les déportations, les exécutions sommaires s’amplifient.

 

 

 

La lecture du Barman du Ritz est une vraie chronique d’une des pires périodes de notre Histoire. Elle est certes contée du point de vue du luxe et de la gabegie mais c’est un reflet sincère d’une réalité qu’il faut connaître. En effet, cette réalité s’affirme peu à peu, dès juin 1942, avec cette présence des nazis, des SS qui imposent la peur, poussent à la collaboration alors que le Ritz et quelques autres endroits où le luxe règne, émergent encore.

 

 

 

Philippe Collin ayant pris soin de dater précisément chaque avancée dans le temps, cela permet de bien se repérer. En ajoutant, en italiques, les pensées de Frank Meier, il rend encore plus vivant le déroulé de son histoire avec Blanche Auzuello et Inga Haag, espionne allemande, ces deux femmes qui l’obsèdent.

 

 

Le barman du Ritz a l’avantage de mêler l’Histoire et le romanesque, ce qui permet de rafraîchir les mémoires tout en passant de bons moments de lecture. C’est donc un livre précieux, à la fois étonnant et révoltant, à la fois plein d’humanité et débordant de haine, rappelant une fois encore que la Shoah a frappé, en France, environ 80 000 personnes dont 11 000 enfants que notre police et notre gendarmerie, obéissant aux ordres, se sont chargées d’arrêter.

 

 

Arrestation, déportation, extermination, ce terrible triptyque plane autour de l’histoire de Frank Meier qui réussit tout de même à sauver quelques personnes. À ne jamais oublier en ces temps où l’antisémitisme ressort de la façon la plus immonde qui soit.

 

Jean-Paul

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