Justine Augier : Personne morale

Personne morale   par  Justine Augier.

 Actes Sud (2024) 284 pages.

 

 

Tout automobiliste circulant sur l’autoroute A 7 a pu remarquer cette énorme échancrure dans la montagne, sur la rive droite du Rhône, côté Ardèche, au sud de la ville du Teil, cette carrière où l’aventure des ciments Lafarge a commencé. Justine Augier le rappelle d’ailleurs :

« Au XVIIIe siècle, la famille Pavin a acquis au lieu-dit de La Farge, près du village du Teil et du Rhône, une carrière de calcaire à la qualité exceptionnelle, qui permettait de fabriquer une très bonne chaux. »

 

 

Mais voilà, l’entreprise a grandi, s’est développée, est devenue d’envergure mondiale, cherchant partout de nouvelles carrières à exploiter avec les conséquences environnementales qui en découlent. La soif de béton étant inextinguible, Lafarge est allée créer une cimenterie énorme en Syrie, chez Bachar Al-Assad qui fut reçu en grande pompe par Nicolas Sarkozy, le 14 Juillet 2008, Place de la Concorde, aux côtés d’autres chefs d’État.

 

 

 

Deux ans plus tard, en décembre 2010 notre même président, Carla et Guéant, invitaient à l’Élysée, Bachar et Asma, son épouse… quelques mois avant que le dictateur syrien réprime dans le sang la révolte populaire syrienne.

 

 

En écrivant Personne morale, Justine Augier s’est lancée courageusement dans une entreprise difficile : faire comprendre pourquoi le cimentier Lafarge est accusé de nombreuses infractions et même de complicité de crimes contre l’Humanité parce que ses dirigeants ont maintenu l’activité de la cimenterie de Jalabiya, dans une Syrie dévastée par la guerre civile.

 

 

Cette cimenterie installée « au milieu de nulle part » couvrait 120 hectares et produisait quatre millions de tonnes de ciment chaque année.

 

 

Pour acheter la continuation de son activité, les plus hauts responsables de Lafarge ont versé des sommes d’argent énormes aux islamistes de Daech au mépris de la sécurité de leurs ouvriers et de leurs familles.

 

 

Lorsque j’ai écouté Justine Augier parler de son livre, Personne morale, aux Correspondances de Manosque 2024, (photo ci-dessous)jai été fortement motivé pour lire son récit, récit qu’elle réussit à maîtriser remarquablement malgré tous les rebondissements qui en auraient découragé plus d’un ou plutôt plus d’une car ce sont des jeunes femmes, avocates, juristes et même stagiaires qui sont allées au-delà de ce qui paraissait possible. Marie-Laure, Tracy, Sara, Cannelle et d’autres travaillant pour Sherpa, association créée en 2001 pour le respect des droits humains et de l’environnement, et l’association allemande ECCHR, Centre européen pour les droits constitutionnels et humains.

 

Avant tout, il fallait faire prendre conscience au lecteur de l’importance de cette cimenterie, de son activité, de son rôle et là, Justine Augier n’hésite pas à écrire une phrase si longue qu’elle s’étale sur trois pages…

 

D’un chapitre à l’autre, l’autrice alterne entre le travail de recherche visant à faire condamner Lafarge en tant que Personne morale et ce qui se passait sur le terrain durant les années 2010.

 

Tout cela est détaillé avec minutie. Même si la lecture de cet essai est rendue facile, j’avoue que je m’y perds un peu parfois surtout lorsque les cabinets d’avocats des industriels font feu de tout bois pour contrer, pour anéantir les preuves et même pour écarter les plaignants syriens.

 

Malgré tous les obstacles, les mises en examen arrivant, l’instruction avance. Son livre ayant été terminé avant l’été 2024, Justine Augier ne pouvait mentionner les dates mais l’on sait aujourd’hui qu’un procès en correctionnelle aura lieu à Paris du 4 novembre au 9 décembre 2025.

 

 

Par contre, pour l’accusation de complicité de crimes contre l’Humanité, passible de la cours d’assises, cela traîne toujours.

 

 

Personne morale contient beaucoup d’informations tout en étant un exemple parfait de la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Dans cet essai, Justine Augier prouve que rien n’est impossible si l’on mène la lutte jusqu’au bout, que le labyrinthe judiciaire est fait pour décourager les meilleures volontés mais qu’un espoir est toujours possible.

 

 

L’obstination des dirigeants de Lafarge qui, pour rassurer les actionnaires, ont financé des organisations terroristes sanguinaires au mépris des droits humains de leurs employés syriens, a fait disparaître l’identité de cette entreprise familiale qui a fini par être absorbée par le géant suisse Holcim.

 

 

Sherpa et ECCHR poursuivent leur lutte contre ces personnes morales, ces multinationales comme TotalEnergies, Samsung en Chine, Bolloré Socapalm au Cameroun, Auchan au Bangladesh, d’autres encore qui ne respectent pas leurs engagements en faveur des droits humains et de l’environnement. C’est pourquoi Personne morale, de Justine Augier, est un récit à lire.

 

Jean-Paul

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