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Gérard Mordillat : Les Vivants et les Morts, vingt ans plus tard

Les Vivants et les Morts, vingt ans plus tard    

par    Gérard Mordillat.

Calmann-Lévy (2025) 519 pages.

 

 

 

Pour celles et ceux qui, comme moi, ont lu et grandement apprécié Les vivants et les morts lors de sa sortie en 2005, quel plaisir de retrouver Dallas et Rudi. Ils habitaient Raussel dans l’est de la France et travaillaient à la Kos, cette usine de film plastique qui a fermé après un très long et très violent conflit social, les machines détruites et le personnel licencié.

 

Le romancier et cinéaste Gérard Mordillat donne suite à ce premier opus avec Les vivants et les morts, vingt ans plus tard.

 

Ayant perdu leurs emplois, Dallas et Rudi avaient dû vendre leur maison et quitter Raussel où plus rien ne les retenait. On les retrouve en banlieue parisienne à MontreuilDallas fait des ménages et des extras comme vendeuse au moment des fêtes tandis que Rudi est au volant d’un trente-cinq tonnes parcourant la France et l’Europe. 

 

 

 

 

La mort de son père va contraindre Dallas à revenir à Raussel, devenue ville fantôme et bientôt, pour celle qui avait juré de ne jamais remettre les pieds dans cette ville chargée de trop de souvenirs cruels, un changement profond intervient : elle se trouve obligée de se réinstaller dans la maison de ses parents car le propriétaire vend l’appartement où ils vivaient en sous-location à Montreuil (photo ci-dessous). Dallas et Rudi vont vivre séparément, hantés qu’ils sont, par mille questions qui les tourmentent depuis que leur fille de seize ans a disparu, il y a deux ans.

 

 

 

Ils ne cessent de se battre pour percer le secret de sa disparition et essayer de savoir où elle est, une quête insoutenable pour eux. 

 

 

Par les yeux de Dallas, nous découvrons les changements fondamentaux qui sont intervenus dans le bourg depuis vingt ans. Plus de cafés, le seul encore ouvert est L’Espérance, plus de cinéma, plus de lieu pour se retrouver. 

 

 

Là où se trouvait la Kos, tout a été rasé et reconstruit comme pour gommer toutes les traces du terrible conflit social qui avait enflammé la ville dans les années 2000. À sa place s’élève un immense parallélépipède gris, protégé d’un grillage métallique  et  ceinturé d’une dizaine de quais de débarquement pour les camions de livraison, et un parking surveillé par des vigiles. 

 

 

Cet  immense entrepôt, surmonté du nom de l’entreprise, Property, fait du e-commerce, concurrent direct d’Amazon et, stupéfaction, celui qui en est à la tête n’est autre que Maxime Lorquin, le fils du syndicaliste qui, vingt ans plus tôt, avait mené la grande grève des ouvriers.

La ville, elle, est passée à l’extrême-droite et des activistes puissants y sèment la terreur.

 

 

Dallas doit gagner sa vie et n’aura d’autre choix que de se faire engager chez Property où la majorité des salariés sont des femmes.

Dans son désarroi, elle sera heureuse de retrouver une copine d’enfance Rachel qui a constitué une chorale de filles : Les Glottes rebelles et qui l’invite à les rejoindre.

 

 

Dans ce tome 2, on se trouve confronté à un monde en mutation, un monde fracturé traversé par des idéologies mortifères, face à un changement radical de notre société et, quand un nouveau conflit va éclater, cette fois, ce seront les femmes qui vont prendre les choses en main et Dallas,la première, à mener le combat.

 

 

Ce roman est un véritable outil pour décrire la réalité et la brutalité du monde contemporain. Sa force  est due au fait que tous les thèmes abordés dans le roman, que ce soit la désindustrialisation, le chômage, la précarité, la lutte des classes, le capitalisme, le manque de médecins,  la crise hospitalière avec la fermeture de services,  le racisme, ou encore  la montée des néo-fascistes, tous sont véritablement portés et incarnés par les personnages.

 

 

C’est avec beaucoup de talent que Gérard Mordillat (photo ci-dessus) décrit les méthodes utilisées par Property pour évincer cette fameuse plateforme e-commerce connue mondialement. C’est un véritable marathon qu’est amené à accomplir chaque salarié, chaque jour s’il veut garder son poste de travail.

 

 

Pas de genre, pas de sexe, une couleur selon le poste attribué, chopeur, rangeur, scotcheur ou rouleur  et un code pour l’identifier. Un grand pas amorcé vers la déshumanisation, un travail de robot et d’ailleurs, la robotisation complète des tâches sera évoquée…

 

 

La disparition de la fille de Dallas et Rudi, Ève, est emblématique de la disparition de tout ce qui a été perdu en vingt ans physiquement et moralement et il s’avère que cette disparition est le moteur qui porte Dallas à s’engager aussi courageusement.

 

 

Les vivants et les morts, vingt ans plus tard, les vivants étant ceux qui ne renoncent pas et les morts, ceux qui ont déjà baissé les bras est un roman qui se lit d’une traite. Contemporain, ancré dans la réalité politique et sociale, on ne peut plus en résonance avec l’époque actuelle, ce roman brosse un tableau hyperréaliste de notre société et, à l’instar de Rudi, je crains que le capitalisme ne détruise tout, y compris l’espèce humaine plutôt que de renoncer à un centime de profit et que nous nous dirigions vers « le capitalocène »…

 

 

Mais ne baissons pas les bras, le combat continue comme pour Dallas et Rudi.

Les vivants et les morts, vingt ans plus tard de Gérard Mordillat accompagné d’une playlist de chants révolutionnaires du monde entier superbe, a été pour moi un véritable coup de cœur !

 

Ghislaine

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Je ne connais pas du tout et il faudrait donc que je commence par le premier avant de lire celui-ci. Je vais voir si je peux le trouver en médiathèque.
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