Laurent Binet : Civilizations

Civilizations      par     Laurent Binet.

Grasset (2019) 377 pages.

Grand Prix du roman 2019 de l’Académie française.

 

 

Civilizations est une gigantesque fresque historique inversant complètement la conquête du Nouveau Monde,  faisant débarquer les Incas à Lisbonne puis, en quelques années, les amenant à prendre le pouvoir sur une grande partie de l’Europe. De plus, Laurent Binet (photo ci-contre) a saupoudré son roman de références et de personnages historiques bien réels ce qui n’a pas manqué de me faire sourire tout au long de ma lecture.

 

 

Avant de nous mettre dans les pas des adorateurs du Soleil, l’auteur commence avec des bannis d’Islande qui, de fuite en poursuite, arrivent sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’Amérique. C’est ensuite Christophe Colomb et son expédition qui va d’échec en déconvenue pour se terminer lamentablement. Tout cela, comme tout au long du livre, est bien argumenté, détaillé, expliqué, rendant l’histoire plausible.

 

 

Enfin, commencent les aventures d’Atahualpa, en lutte contre son frère, qui n’a d’autre échappatoire que de prendre la mer pour Cipango (Cuba) où il rencontre la belle Higuénamota qui l’accompagnera longtemps.

 

 

De batailles en massacres, sans compter les trahisons, c’est au Portugal où un terrible tremblement de terre a tout bouleversé, que les Incas s’installent et découvrent la vie européenne et la religion du « dieu cloué » avec ces « tondus » qui les reçoivent.

 

 

J’ai beaucoup aimé les commentaires, les appréciations du narrateur devant les incohérences d’une religion qui n’hésite pas à tuer, à brûler celles et ceux qui ne conviennent pas. L’inquisition est dans son âge d’or ou plutôt de sang et ceux qui vénèrent le Soleil sont terriblement choqués par ce qui se passe.

 

 

Pour mener à bien cette uchronie, Laurent Binet sait varier les types de récit utilisant à plusieurs reprises l’échange de courrier ce qui permet d’apprendre ce qui se passe en Angleterre, en Espagne, en Allemagne. La France reste un peu en dehors du jeu car François 1er, ennemi de Charles Quint, est plutôt un allié d’Atahualpa.

 

 

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt toutes les améliorations apportées par ceux qui conquièrent le Cinquième Quartier, comme ils nomment leur territoire européen, les quatre premiers étant de l’autre côté de l’océan Atlantique. Tolérance, partage des richesses sont à l’honneur pour lutter contre les massacres et la famine.

 

 

J’ai eu de la peine parfois à m’y retrouver entre tous les personnages évoqués : sœurs, frères, demi-frères, demi-sœurs, épouses, maîtresses, concubines mais je me suis laissé porter par cette saga incroyable.

 

 

L’Espagne se révèle vite trop petite et l’auteur nous promène jusqu’aux Pays-Bas en passant par Gand, Bruxelles, en Allemagne, en Italie, après avoir conquis Tunis et Alger. J’ai aimé la partie traitant du problème posé par Luther et l’évocation de Thomas Müntzer mis en valeur par Éric Vuillard dans La guerre des pauvres.

 

 

Hélas, le temps passe et les plus belles utopies sont menacées. Des Mexicains débarquent et le sang coule à nouveau. Il y a aussi la bataille de Lépante dans une dernière partie qui met en scène Miguel Cervantès et un grec, catho intégriste. Je n’y ai trouvé d’intérêt que pour l’épisode se déroulant chez Michel de Montaigne, près de Bordeaux, avec des débats intéressants à propos, encore, de religion.

 

 

Comment terminer une histoire aussi folle qu’instructive ? Laurent Binet a choisi une fin assez énigmatique revenant presque au point de départ mais y avait-il une autre issue ? Cela n’enlève rien à tout l’intérêt d’un roman hors normes qui a le mérite de décrypter l’histoire officielle en la décortiquant, la passant par le prisme de regards complètement neufs. Réflexion salutaire s’il en est sur le poids des religions et le rôle des puissants.

 

 

Si tout cela était arrivé, je me demande si nous serions plus heureux. En tout cas, peut-être que ce Soleil adoré aurait permis d’éviter les plus grands drames qui ont endeuillé l’Europe ? Le rêve est permis et merci à Laurent Binet d’avoir osé nous entraîner dans cette folle utopie de Civilizations, livre couronné par le Grand Prix du roman de l'Académie française 2019.

Jean-Paul

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
M
Quelle belle idée de roman ! Et oui je serai curieuse de prendre l’histoire à l’envers et de voir comment les Occidentaux « civilisés » et si pétris de religion (la bonne évidemment !) s’en sortent... Merci du partage !
Répondre
J
Merci à vous ! Je ne sais pas si vous avez regardé La Grande Librairie de mercredi dernier mais Laurent Binet expliquait très bien sa démarche, s'appuyant sur l'Histoire pour inverser complètement son cours.Cela, en plus d'être distrayant, a le grand mérite de nous faire réfléchir.
Thème Magazine -  Hébergé par Overblog