Philippe Lançon : Le Lambeau

Le Lambeau       par      Philippe Lançon.

 nrf Gallimard (2018) 509 pages ; Folio (2020) 512 pages.

Prix Femina 2018 : Prix du Roman News 2018 ; Meilleur livre de l'année 2018 du Magazine Lire ; Pris spécial du jury Renaudot 2018 ; Prix Roger Caillois 2018 ; Prix Jean-Bernard de l'académie de médecine 2018..

 

 

J’étais impatient de lire Le Lambeau. Depuis la reparution de Charlie Hebdo, après le 7 janvier 2015, j’ai lu avec beaucoup d’attention et d’émotion chacune des chroniques de Philippe Lançon, chroniques pour lesquelles il avait conservé le cadre originel : Dans le jacuzzi des ondes.

 

 

Depuis longtemps, il avait délaissé les médias pour traiter la culture, domaine où il excelle mais là, chaque semaine, il a confié ses souffrances, ses doutes, sans délaisser d’autres sujets. Chaque semaine, je l’ai donc lu et apprécié mais là, sur plus de 500 pages, Philippe Lançon est encore plus impressionnant, livrant un texte d’une qualité incroyable au ton si juste et tellement précis.

 

 

 

C’est le récit de quelques années d’une vie avec des retours en arrière indispensables qui permettent de mieux comprendre l’homme, l’écrivain assoiffé de culture. Ses voyages, ses reportages sont évoqués mais, ce matin du 7 janvier 2015, il pouvait aller aussi bien à Libération qu’à Charlie. Il choisit l’hebdomadaire dans lequel Philippe Val, directeur à l’époque, l’avait convié à écrire, car il veut assister à la première conférence de rédaction de l’année et revoir Wolinski. Il a sur lui un livre de jazz : Blue Note qu’il veut montrer à Cabu, ce qui lui sauvera la vie car il aurait croisé les tueurs dans l’escalier… La réunion étant déjà commencée, il s’assoit entre Bernard Maris et Honoré : « Nous étions une bande de copains plus ou moins proches dans un petit journal désormais fauché, presque mort. »

 

 

Avec les trois dessinateurs et le journaliste déjà cités, il y avait Fabrice Nicolino, Elsa Cayat, Tignous, Laurent Léger et Franck Brinsolaro, le garde du corps de Charb qui était en retard. À Charlie, il avait connu Cavanna et il parle de son enterrement, le 6 février 2014.

 

 

Philippe Lançon s’insurge à raison contre le manque de solidarité après la publication des caricatures de Mahomet, en 2006 : «…honte professionnelle et morale. Elle a contribué à faire de Charlie, en l’isolant, en le désignant, la cible des islamistes. » Voilà où on en arrive après tant de lâcheté ! Les pages qui suivent, pour l’attentat, sont écrites avec une simplicité et une rigueur admirables. C’est terrible de délicatesse et de tragique. Il était un homme dissocié en deux : « celui que je devenais » et « celui qui n’était pas tout à fait mort. » Entre les corps de Bernard Maris et de Tignous, mort le stylo à la main : « nous avions été les victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu. »

 

 

« J’étais un blessé de guerre dans un pays en paix. » Philippe Lançon m’a fait partager ses sensations, ses souffrances, ses espoirs, son désespoir et sa vie en milieu hospitalier avec une protection policière permanente. Heureusement, famille et amis sont là et son frère agit remarquablement pour organiser sa vie à La Pitié-Salpêtrière. Il nous parle aussi de Gabriela, de Marilyn, son ex-femme qu’il a connue à Cuba, une île qu’il évoque souvent.

 

Surtout, il parle de celles et ceux qui soignent, de Chloé, la chirurgienne qui greffe un morceau de son péroné pour remplacer la mâchoire emportée par la balle : « Elle était la fée imparfaite qui, penchée sur mon berceau, m’avait donné une seconde vie. » C’est elle qui fait ce lambeau, cette autogreffe qui va tant le faire souffrir et nécessiter beaucoup d’autres passages au bloc  opératoire.

 

 

En plus, Philippe Lançon (photo ci-dessus) fait visiter les Invalides où il se retrouve en rééducation avant de réapprendre à sortir à nouveau. Tout est dit avec discrétion, sans apitoiement, faisant de ce livre LE  LIVRE  DE  L’ANNÉE 2018 tant par l’écriture que par sa richesse, ses sujets traités et son humanité. De plus, il sort en édition poche (Folio) ce 3 janvier 2020.

Jean-Paul

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J
Merci Dominique et, bien sûr, je suis tout à fait d'accord avec toi !
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D
je retrouve ce roman-récit qui m'avait tant émue dans tes mots, merci pour cette chronique d'un livre indispensable
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