Emmanuel Carrère : Limonov

Limonov        par      Emmanuel Carrère.

P.O.L. (2011) 488 pages ; Folio (2013) 496 pages.

Prix Renaudot 2011.

 

Parler d’une personnalité aussi complexe que Limonov, tenter de raconter son parcours plus que tortueux était un défi que seul un auteur bien au fait de l’histoire russe pouvait réaliser, ce que n’a pas manqué de réussir Emmanuel Carrère, avec le talent qu’on lui connaît (Le Royaume, L'Adversaire).

 

 

Entre octobre 2006 et septembre 2007, l’auteur repart à Moscou, après le meurtre d’Anna Politkovskaïa : « Que la police ou l’armée soient corrompues, c’est de l’ordre des choses. Que la vie humaine ait peu de prix, c’est la tradition russe. » Le décor ne peut pas être planté plus explicitement. Depuis octobre 2002 et le théâtre de la Doubrovka où environ 150 personnes (otages et preneurs d’otages) ont été gazées par les forces spéciales, une foule se rassemble devant ce théâtre. Parmi ces gens, Emmanuel Carrère (photo ci-dessous) remarque Limonov.

 

 

Il se souvient qu’au début des années 80, à Paris, « Limonov était notre barbare, notre voyou : nous l’adorions. » Il s’est battu ensuite avec les Serbes et a créé, en Russie, un parti national-bolchevik avant d’être arrêté en 2001 et emprisonné. Anna Politkovskaïa et Elena Bonner (veuve d’Andreï Sakharov) l’avaient défendu. À 65 ans, il a écrit sept à huit livres dont le meilleur s’intitule Journal d’un raté, a aidé ses compagnons de cellule et rêve d’une révolution orange. Une vraie légende vivante.

 

 

Le retour au passé est inévitable et nous voilà en Ukraine, en 1943, le 2 février, jour de la naissance d’Edouard, vingt jours avant que la 6e armée du Reich ne capitule à Stalingrad. C’est l’occasion pour l’auteur de décrire la Russie de l’après-guerre.

 

 

Lorsque Staline meurt, en 1953, Edouard est « délégué du soviet des Pionniers de sa classe » et n’a que 10 ans. Il lit Alexandre Dumas et Jules Verne mais sa vie devient de plus en plus chaotique. Il tient les marathons d’ivrognerie russes, les zapoï. Un soir d’ivresse, il se bat, est arrêté, donne des coups de couteau à un policier puis est condamné à cinq ans de colonie pénitentiaire, condamnation ramenée à 15 jours grâce à l’intervention de son père. Toutefois, cela ne calme pas le jeune homme décidé à devenir « un roi du crime, pas un second couteau. »

 

 

Son histoire très détaillée foisonne d’événements, d’exploits plus ou moins avouables et d’aventures amoureuses. Il est fondeur dans une usine, vendeur de livres puis devient tailleur mais lit toujours et se met à écrire. Enfin, il s’installe à Moscou en 1967 où il tente de faire connaître ses poèmes. C’est en 1974 qu’il quitte l’Urss, comme Soljenitsyne. On le retrouve ensuite à New York : « Quand on vient de Moscou, c’est comme si on passait d’un film en noir et blanc à un film en couleurs. »

 

 

 

Enfin, revenu au pays, il est inculpé de terrorisme, connaît les prisons les plus dures mais lit et écrit toujours. Depuis son intermède carcéral, il est un opposant vertueux à Poutine, devenu « le patron ». Son mouvement se nomme « Stratégie 31 » et la vie s'est poursuivie pour Edouard Limonov, décédé le 17 mars 2020 à Moscou.

Jean-Paul

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