Patrick Grainville : Trio des Ardents

Trio des Ardents     par   Patrick Grainville.

Seuil (2023) 343 pages.

 

 

J’ai un peu hésité avant d’entamer la lecture du dernier roman de Patrick Grainville.

 

Il faut dire que cet auteur avait de quoi m’impressionner : Lauréat du Prix Goncourt en 1976 pour Les Flamboyants, il reçoit en 2012 le Grand Prix de littérature Paul-Morand pour l’ensemble de son œuvre et est élu à l’Académie française en 2018 !

 

Mais, dès les premières pages du Trio des Ardents, ma réticence s’est envolée.

 

 

Je me suis trouvée plongée dans la vie de trois personnages hors-normes Isabel Rawsthorne, Alberto Giacometti et Francis Bacon.

 

 

Si je connaissais Alberto Giacometti, seulement en tant que sculpteur et non en tant que peintre,  et Francis Bacon, j’avoue avoir découvert Isabel Rawsthorne (photo ci-dessous), créatrice d’une œuvre picturale secrète et méconnue, égérie et confidente de Epstein, Balthus , Derain et Picasso, ayant posé pour ces artistes majeurs.

 

 

Artiste, nomade, radicalement libre pour l’époque et d’une beauté flamboyante, mariée trois fois, elle a entretenu avec Albert Giacometti et Francis Bacon, ces deux monstres sacrés de la peinture, des rapports amoureux, devenue la muse solaire du « montagnard des Grisons » et l’unique amante de Bacon, homosexuel. Elle a cependant souffert d’un grand effacement par rapport à ses deux amis-amants, « deux outrances incontournables ».

 

Tableau ci-dessous : "Migrations" d'Isabel Rawsthorne.

 

 

Des années 30 à la fin du siècle, Patrick Grainville s’emploie à décrire ces années de chassés-croisés de ce trio passionné.

C’est avec un immense intérêt que j’ai pu suivre les changements qui se sont opérés dans les œuvres de ces deux monstres sacrés de la peinture qui partagent une cause commune, la figuration, au moment même où triomphe l’abstraction.

 

Une révélation bouleversante va s’opérer pour Giacometti après une séance de cinéma. Des lilliputiennes figurines qui reflétaient la distance à laquelle il avait vu son modèle, il va alors réaliser sa nouvelle expérience de la distance en créant des sculptures extrêmement longues et élancées.

 

 

Il sera toujours en quête d’une ressemblance impossible : « Mais je n’ai quand même jamais pu réaliser vraiment ce que je vois. »

 

 

Tableau ci-contre : "Tête IV" de Francis Bacon.

 

Quant à Bacon, asthmatique, maltraité par son père, l’esprit hanté selon ses dires par le vers d’Eschyle « l'odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux », souvent qualifié de peintre de l’insoutenable, personne ne pouvant rester indifférent face aux visages déformés et aux corps mutilés qui caractérisent son œuvre, il affine son style tout au long de sa carrière, délaissant les images de violence crue de ses débuts.

 

 

Patrick Grainville (photo ci-dessous) sait à merveille faire revivre la destinée de ce trio débridé, d’une extravagance inédite, leur vie trépidante, comme si nous étions à leurs côtés.

 

 

Tableau ci-dessous : "Triptyque 1986-1987" de Francis Bacon.

 

 

Il  nous fait également pénétrer dans les ateliers de ces génies, ateliers, qui à leur mort seront reconstitués à l’identique, mais resteront orphelins de leur présence.

 

 

Ce qui confère au roman encore plus de saveur, c’est la pléiade de personnages que côtoient ces artistes, Picasso, Sartre, Beauvoir, Lotar, Leiriset qui nous procurent de savoureux dialogues.

 

 

De plus, l’auteur n’oublie pas d’insérer son récit dans le cadre historique, offrant au lecteur des réflexions souvent ironiques et mordantes mais aussi des portraits très imagés des politiques qui ont traversé cette période, que ce soit De Gaulle, Churchill, Mao ou Thatcher pour n’en citer que quelques-uns.

 

Pour apprécier au mieux ce roman, j’ai dû maintes fois avoir recours à la toile pour visualiser les chefs-d’œuvre de ces artistes, notamment ceux de Francis Bacon qui m’ont littéralement fascinée et que l’auteur a su si bien sublimés. Dommage que les photos de ces œuvres d’art ne figurent pas dans l’ouvrage…

 

Tableau ci-contre : "Isabel Rawsthorne debout dans une rue de Soho" de Francis Bacon.

 

Seul un passionné de peinture comme Patrick Grainville (Les Yeux de Milos) pouvait faire jaillir de par son écriture et une verve prodigieuse un texte aussi flamboyant où la vie, la couleur, l’alcool, l’érotisme, une exubérance en tout sont exprimés avec autant de crudité et de réalisme.

 

Ghislaine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
D
Je ne peux que vous le conseiller à toutes 2, Domi et Manou, car il est vraiment très intéressant !
Répondre
D
j'avais lu "Les Yeux de Milos" là tu me donnes vraiment envie de découvrir celui-ci !
Répondre
M
Cela fait très longtemps que je n'ai rien lu de lui...un jour peut-être je le lirai à nouveau...tu m'en donnes envie en tous les cas.
Répondre
Thème Magazine -  Hébergé par Overblog