Antoine Choplin : La nuit tombée

La nuit tombée       par    Antoine Choplin.

La Fosse aux ours, (2012), 121 pages ; Points (2014) 128 pages.

Prix du Roman France Télévisions 2012.

 

 

Après Le héron de Guernica, un livre étonnant plein de sensibilité et de justesse à propos d’un drame absolu, Antoine Choplin prouve une nouvelle fois tout son talent dans un autre petit bijou : La nuit tombée.

Cette fois-ci, l’auteur m'emmène loin, à l’est, en Ukraine, pas très loin de Kiev, tout près de Tchernobyl, dont le nom, sauf erreur, n’est jamais cité. Avec sa délicatesse habituelle, Antoine Choplin, me plonge tout doucement dans l’horreur d’après catastrophe, avec Gouri qui, sur sa moto attelée d’une remorque, se rapproche de « la zone ».

 

Au fil des pages, les éléments s’accumulent. On apprend qu’il ne faut pas boire le lait des vaches. À Bober, les maisons sont désertées, les fenêtres brisées, les portes défoncées, d’autres barricadées.

 

Enfin, le voici à Chevtchenko où il retrouve Vera qui lui confirme : « Tout le monde est parti. » Les souvenirs de cet été 1986 reviennent, se mélangent avec ce qu’était la vie avant puis ce qu’il a fallu faire ensuite. Son mari, Iakov, est très malade. Avec Gouri, ils se souviennent de leur travail sur le toit du réacteur où il ne fallait pas rester plus de 40 secondes…

 

« Certaines nuits, les arbres se mettaient à rougeoyer », des équipes devaient « enterrer la terre. Autrement dit, enlever la couche supérieure du champ et l’enfouir profondément… et après, répandre partout, à la place, du sable de dolomie, un truc d’un blanc tel qu’on se serait cru sur la lune. »

 

Avec ces détails d’un réalisme glaçant, l’auteur mène tous ses dialogues sans tirets mais cela ne gêne pas la lecture, lui donnant même une fluidité naturelle assez agréable. Au cours d’un repas, Kouzma raconte la destruction de sa maison, séquence impressionnante, très émouvante. Vera chante, s’accompagne à l’accordéon et Iakov dit des poèmes. Cela évoque les musiciens du Titanic continuant à jouer alors que le bateau coule…

 

Gouri veut revenir à Pripiat, dans son appartement pour récupérer la porte de la chambre de sa fille, Ksenia, morte depuis. Dessus, elle avait peint et la progression de sa taille est restée gravée. Kouzma l’accompagne et lui permet d’échapper à la surveillance interdisant l’accès à « la zone ».

 

Les souvenirs d’un monde disparu se bousculent. Avec un seul bagage par personne, ils avaient été évacués le troisième jour : « Ce n’était pas la guerre, ni un tremblement de terre. Nul effondrement, nul cratère d’obus. N’empêche, il fallait partir. »

 

Ainsi, une ville animée est devenue catacombe, une tombe où il faut prendre garde de ne pas trop remuer la poussière et mettre des gants.

 

En relisant La nuit tombée, impossible de ne pas penser à La Supplication de Svetlana Alexeïevitch mais aussi au roman récent d'Alexandra Koszelyk : À crier dans les ruines.

Jean-Paul

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