Gwen Strauss : Elles étaient neuf

Elles étaient neuf   par  Gwen Strauss.

L’histoire vraie de l’évasion d’un groupe de femmes qui a survécu au pire de l’Allemagne nazie.

des femmes – Antoinette Fouque (2024) 277 pages.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Delaruelle.

Titre original : The Nine

The True Story of a Band of Women Who Survived the Worst of Nazi Germany.

 

 

 

Elles étaient neuf, de Gwen Strauss, relate, comme l’indique le sous-titre, L’histoire vraie de l’évasion d’un groupe de femmes qui a survécu au pire de l’Allemagne nazie.

 

 

 

Mais quelle leçon de courage et quelle leçon de vie que ce récit !

 

 

 

En préambule, Gwen Strauss présente en quelques lignes chaque jeune femme. Ce groupe des neuf se compose de Hélène Podliasky (photo ci-dessous) connue des autres sous le nom de Christine, Suzanne Maudet (Zaza), amie de lycée d’Hélène, Nicole Clarence, Madelon Verstijnen (Lon), Guillemette Daendels (Guigui), Renée Lebon Châtenay (Zinka), Joséphine Bordanava (Josée), Jacqueline Aubéry du Boulley (Jacky) et Yvonne Le Guillou (Mena), .

 

 

 

Elles avaient toutes moins de trente ans lorsqu’elles ont rejoint la Résistance, et même plusieurs, moins de vingt ans.

 

 

 

Elles ont assuré l’acheminement d’agents et de messages et la réception de parachutages d’armes, apporté leur aide aux réfractaires au service du travail obligatoire, hébergé des agents parachutistes, parcouru les itinéraires d’évasion vers l’Espagne ou caché des enfants juifs dans des appartements dispersés. Toutes ont été déportées pour raisons politiques.

 

 

 

Hélène, brillante ingénieure, polyglotte, cette aisance avec les langues étrangères feront d’ailleurs d’elle, tout naturellement, une meneuse à Ravensbrück, « le pilier de leur groupe », est la grand-tante de Gwen Strauss (photo ci-contre), l’autrice.

 

 

 

Partie d’un entretien enregistré avec Hélène en 2002, «  Comme ce fut le cas dans de nombreuses familles, on préférait laisser derrière soi cette période sombre », Gwen Strauss a dû effectuer un vaste et incroyable travail de recherche pour mettre au jour cette saisissante histoire d’entraide et de sororité malgré l’horreur, recherche dans différents fonds d’archives et immersion dans des entretiens radiophoniques et des archives filmées lors des retrouvailles d’Hélène avec Lon.

 

 

 

Photo ci-contre : Suzanne Maudet (Zaza)

 

 

La première publication, The Nine, est paru en anglais en 2021. Cette édition de 2024, traduction de l’anglais par Catherine Delaruelle, permet enfin de découvrir le parcours exceptionnel de ces jeunes femmes.

 

 

 

Photo ci-contre : Nicole Clarence.

 

 

Gwen Strauss consacre un chapitre à chacune des héroïnes faisant un retour sur leur vie, leurs actions en tant que résistantes, leur arrestation, les tortures,  leur arrivée au camp, leur survie, toutes les épreuves endurées, leur évasion pendant une marche de la mort.

 

Pour chacune d’elles, en présentation, une photo individuelle prise dans leur vie « d’avant », des portraits de jeunes filles resplendissantes de santé et de bonheur….

 

 

Toutes arrivées à Ravensbrück à l’été 1944, elles sont transférées en août près de Leipzig au Kommando Schönefeld, camp satellite de Ravensbrück puis de Buchenwald, où elles sont affectées à l’usine d’armement Hasag, à la production de munitions et de Panzerfaust, un lance-grenade portatif comparable au bazooka, à destination de la Wehrmacht.  Elles devront effectuer ces travaux extrêmement pénibles, 12 heures par jour, avec un manque cruel de nourriture, durant huit mois, n’hésitant pas, malgré les risques à freiner le travail et à le saboter le plus possible.

 

 

Photo ci-contre : Madelon Verstijnen..

 

 

 

Face à l’avance des troupes alliées, la nuit du 13 avril 1945, on ordonne aux 5000 prisonnières de s’assembler  dehors sous un crachin glacial, les neuf tentent de rester groupées, et le 14 avril, à deux heures du matin, le cortège de déportées franchit les grilles du camp et est emmené dans une marche de la mort.

 

 

Photo ci-contre : Guillemette Daendels (Guigui)

 

 

 

Encadrées par les soldats SS, les 5000 d’abord divisées en groupes de 1000 puis en cohortes de 100 doivent marcher par rang de cinq à travers les villes et villages.

 

 

Le 15 avril, profitant  d'un moment d'inattention de leurs gardes, les neuf parviennent à s’échapper de la marche, à sortir du rang et à sauter dans un fossé : « Elles avaient réussi. Elles s’étaient évadées ! »

 

 

 

Photo ci-contre : Renée Lebon Châtenay (Zinka)

 

 

 

Commencent alors des jours d’errance pour rejoindre les troupes américaines stationnées dans la ville allemande de Colditz (photo ci-dessous) où elles arrivent malades et affaiblies, avec une traversée de la Mulde dantesque. Du temps s’écoulera encore avant leur retour chez elles…

 

 

Ce récit absolument sidérant révèle le rôle essentiel de l'entraide et la sororité dans la survie à des épreuves défiant toute imagination.

 

 

Gwen Strauss fait ressortir avec talent toutes les ressources dans lesquelles ces femmes sont allées puiser pour survivre et rester des êtres humains. Le soutien qu’elles se portent les unes aux autres, toujours vigilantes et prêtes à aider celle qui vacille, leurs caractères très dissemblables leur permettant justement de se stimuler mutuellement, et puis cette inventivité à créer d’autres mondes, ces astuces de recettes qui peuvent paraître complètement improbables pour survivre dans cette période où elles souffrent atrocement de la faim, c’est cette solidarité qui les aidera à tenir.

 

 

 

Photo ci-contre : Jacqueline Aubéry du Boulley (Jacky)

 

 

 

 

En échangeant par exemple, leurs recettes qu’elles se remémorent, elles savourent des souvenirs, des souvenirs moins douloureux qu’en pensant à leurs proches qu’elles ont laissés ou perdus. « En partageant le souvenir d’un bon repas, les femmes retrouvent leur humanité sans que la souffrance soit trop aiguë. Les recettes les relient au monde extérieur, à leur vie d’avant et à leur vie après. Et elles créent un lien avec les autres groupes de déportées. Tout le monde mange, tout le monde a un plat préféré. »

 

 

 

 

En racontant cette histoire vécue par ces neuf jeunes femmes, l’autrice, sur la base de recherches très documentées, nous rappelle au passage le caractère essentiel de la Résistance et le rôle fondamental qu’y ont joué les femmes, ces femmes qui n’avaient pas le droit de vote, pas de compte en banque, pas d’emplois, mais qui étaient capables de résister, et qu’on a un peu oubliées…

 

 

C’est aussi cette France de Vichy, la milice, la Gestapo et les tortures qu’elle décrit dans son livre, avant de nous plonger dans l’horreur des camps, tout en décortiquant leur mode de fonctionnement.

 

 

Les conditions de travail dans l’usine d’armement Hasag sont bien détaillées tout comme les moyens utilisés par les Françaises pour saboter à plusieurs reprises le chauffage des fours pour fragiliser les coques des obus, blessant ou tuant à coup sûr les soldats les utilisant. L’écrivaine n’omet pas de mentionner, alors qu’Hitler est en train de perdre la guerre, l’intensification de la production d’armements, en particulier les V2, les premiers missiles balistiques à longue portée dans les galeries souterraines de ce qui deviendra le camp de Dora-Mittelbau.

 

 

La carte de la marche de la mort puis du chemin d’évasion suivi par les fugitives de même que la carte de l’Europe insérées en début d’ouvrage m’ont été bien utiles pour suivre leur périple.

 

 

Impossible de terminer sans parler de leur retour et de leur arrivée en France avec toutes les formalités administratives interminables, puis leur arrivée à Paris où elles sont assaillies par une foule qui cherche à reconnaître les siens, avant d’être dirigées vers l’hôtel Lutetia.

 

 

En réintégrant ce monde, les survivants se sentent incompris et ont du mal à trouver leur place. « Dans les camps, la solidarité a constitué un rempart contre la solitude. »

 

 

Il faudra du temps, beaucoup de temps, attendre souvent que la génération qui n’a pas connu la guerre pose des questions pour que les déportées commencent à parler…

 

 

Photo ci-contre : Yvonne Le Guillou (Mena)

 

Loin d’être un récit plombant, c’est un texte fort et prenant qu’a écrit Gwen Strauss dévoilant combien l’entraide, la solidarité ne sont pas de vains mots et peuvent permettre d’affronter et contrer les pires atrocités.

 

 

De même, à plusieurs reprises, au cœur des cruautés incommensurables commises par les nazis, quelques lueurs d’espoir apparaissent comme ce contremaître Fritz, visiblement un homme sensible ou encore ce fermier et sa fille qui offrent aux évadées une hospitalité sincère…

 

Elles étaient neuf de Gwen Strauss est un livre bouleversant qu’il faut absolument découvrir, un récit documentaire qui ne se lâche pas tant l’auteure a su y donner de la présence et de la vie.


Les valeurs portées par ces femmes sont tellement essentielles et devraient inspirer tout un chacun dans monde qui a tendance à les avoir oubliées.

 

Pour ne pas oublier, pour qu’il n’y ait plus jamais ça, il est impératif de se souvenir.

 

Un immense merci aux éditions des femmes - Antoinette Fouque et à Babelio.

 

Ghislaine

 

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P
Quelle belle chronique ! Merci de cette découverte. Comle Manou je vais le noter dans ma liste à rallonge !<br /> Anne
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M
Ce livre me semble très fort en effet et je vais le noter même si mes listes s'allongent démesurément...Merci pour ta chronique qui me permet de le découvrir
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