Jacques Jouet : La Montagne R

La Montagne R    par  Jacques Jouet.

Seuil (1996) 123 pages.

 

 

Jacques Jouet a réalisé un ensemble romanesque d’inspiration historique et politique intitulé La République, roman qui est constitué de nombreux titres dont La Montagne R, paru en 1996.

 

 

Ce roman est composé de trois parties : le discours, Le chantier et Le procès (court extrait).

 

 

Dans la première, on apprend que le gouvernement de la République – une république parmi d’autres – trouvant trop plat son territoire, a pris la décision de construire une montagne à quarante kilomètres de la capitale, à l’est, une montagne dont l’altitude devrait avoisiner 1500 m, la Montagne R comme République.

 

 

Cette décision qui semble absurde, le président du Conseil de la République la justifie par des motifs qui laissent sceptiques : du bon air pour les bronches, le parfum des hauts sapins, la glisse pour tous, une attraction pour les touristes. Cerise sur le gâteau, ce projet d’envergure offrira des débouchés professionnels à la population la moins favorisée, puis la possibilité d’exporter cette réalisation dans d’autres pays plats.

 

 

À l’issue de ce discours, féroce caricature de la langue de bois, le projet est voté avec enthousiasme par la Chambre des députés…

 

 

Quelques années plus tard, alors que le chantier est interrompu, inachevé, et interdit hermétiquement au public, une jeune femme en quête de vérité, interroge son père qui y a terminé sa carrière d’entrepreneur. Elle veut savoir comment il a pu avoir le marché et quel a pu être son rôle. Peu à peu, le père révélera certains faits.

 

 

Il décrira le ballet incessant des énormes camions, les entorses au règlement pour gagner plus, les matériaux utilisés et leur quantité astronomique, la situation plus que précaire des travailleurs et notamment des Turcs et des Ukrainiens, et comme sur tout chantier pharaonique, les accidents…

 

 

Dans la dernière partie du roman comparaît à l’audience de la soixante-dix-huitième journée du procès, le romancier, écrivain, Stéphane qui avait signé un contrat lui autorisant à suivre le chantier pour ensuite écrire un roman qui rendrait compte de la réalité observée. Il a été convoqué, lui qui a tout vu mais n’a jamais rien dit,  non pas comme accusé mais comme témoin. Le Président lui fait d’ailleurs remarquer que «le statut de témoin et celui d’accusé ne sont séparés l’un de l’autre que de l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes… »

 

 

Jacques Jouet (photo ci-dessus), né en 1947, poète, membre de l’Oulipo, romancier, nouvelliste, dramaturge, essayiste et artiste plasticien nous offre avec La Montagne R un petit bijou de littérature,

 

 

Très court, seulement 125 pages, mais d’une densité exceptionnelle, ce roman, sorte de fiction  politique montre avec force comment un gouvernement par manipulation et message truqué peut parvenir à ses fins et faire accepter plus ou moins n’importe quel projet. Si celui-ci doit procurer de la distraction à la population, la faire rêver et si, de plus, il est pourvoyeur d’emplois, il a toutes les chances d’être retenu. Le discours du Président est le reflet typique d’un homme politique corrompu.

 

 

Ce projet titanesque nous en rappelle certains, entrepris par des grandes puissances et pour la construction desquels, les magouilles politiques et la corruption œuvrent allègrement tandis que les vies humaines n’ont que peu de poids …

 

Jacques Jouet s’est attaché justement à développer et à décrire le sort réservé à ces ouvriers, leurs conditions de travail,  et au mépris de ces vies humaines considérées comme négligeables. De même qu’il décrit avec force talent ce chantier gigantesque et dantesque apparaissant comme un monstre où les hommes évoluent semblables à des fourmis.

 

 

Avec l’interrogatoire de l’écrivain et par les questions qui lui sont posées, on comprend comment la construction de la Montagne a généré l’utilisation de combines abjectes, a été source de disparitions et de morts pour le moins suspectes et entraîné la prostitution et l’esclavage.

 

 

Cet extrait du Procès permet également une réflexion richissime sur le métier d’écrivain.

 

 

Dans le cas précis de ce roman, une grande place est attribuée à la dépendance à laquelle celui-ci peut être soumis en cas de contrat signé avec un commanditaire.

 

 

Ce bouquin, petit par la taille mais tellement vaste par son propos m’a vraiment conquise.

Je l’ai découvert par pur hasard, grâce au « désherbage » de ma médiathèque préférée…

 

Ghislaine

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M
Je ne connaissais pas du tout ce roman et je pensais l'auteur uniquement tourné vers la poésie. Le sujet est intéressant. Bien entendu ma médiathèque ne l'a pas...il est sorti en 1996 et donc il doit être au rebut depuis un certain temps...Merci pour cette présentation
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