Catherine Poulain : Le grand marin

Le grand marin        par     Catherine Poulain.

Éditions de l’Olivier (2016), 372 pages ; Points (2020) 384 pages.

 

 

 

« Je pars pêcher en Alaska »… avec « un petit sac de l’armée pour tout bagage ». Depuis Anchorage, un petit avion l’amène sur l’île de Kodiak où la vie de celle qui se fait appeler Lili, va se dérouler.

 

Catherine Poulain, pour son premier roman, sait de quoi elle parle puisqu’elle a pêché pendant dix ans en Alaska. Elle veut travailler comme un homme, avec les hommes mais, pour cela, elle doit beaucoup endurer, se blesser, souffrir, se défendre et… boire.

 

Après trois semaines de préparation du bateau, le Rebel, où elle a réussi à se faire embaucher, elle part sur ce palangrier pour pêcher la morue noire au large, un travail dur et dangereux, avec des matelots endurcis.

 

 

« Embarquer, c’est comme épouser le bateau le temps que tu vas bosser pour lui, » dit un marin qui ajoute : « Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d’amour aussi… jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à haïr le métier, et que malgré tout on en redemande. » C’est exactement ce que vit Lili, ce « moineau » qui redoute les services d’immigration et fuit un passé dont on ne connaît jamais l’exacte explication.

 

 

Sa première campagne sur le Rebel est, sans conteste, la meilleure partie du livre car l’auteure écrit en phrases courtes, d’un style tendu, efficace. On est sur le bateau et on a de la peine à respirer. Avec Simon, l’étudiant, ils sont les greenhorns, les débutants à peine payés mais qui doivent accepter beaucoup de choses comme dormir par terre car il n’y a que six couchettes pour neuf membres d’équipage.

 

 

Lorsque l’on remonte la palangre, ce long cordage garni d’hameçons, ce sont des poissons bien vivants qui arrivent sur le pont. Il faut trancher les têtes, éventrer, racler l’intérieur des ventres et elle n’hésite pas à avaler la poche de laitance comme, plus tard, elle mangera le cœur tout palpitant du flétan qu’elle a réussi à nettoyer.

 

 

Sur ce bateau, un homme l’impressionne et la fascine : Jude, l’homme-lion. C’est lui le seul vrai pêcheur, « le grand marin ». Ils se retrouvent pour la pêche au flétan et elle ne cache pas que les poissons trop jeunes ou non homologués sont rejetés à la mer mais sont morts ! Lorsque les flétans arrivent sur le pont, « Il faut tuer au plus rapide. Le temps est de l’argent, les poissons des dollars, et quand paraît une étoile de mer, souvent plus grosse que mes deux mains réunies, qu’elle retombe flasque sur le plan de travail, accrochée à l’hameçon qu’elle suce avidement, il l’envoie s’écraser contre un montant d’acier. »

 

Pour effacer la fatigue, oublier l’incroyable dureté du travail, l’alcool est omniprésent sous toutes les formes et cela va s’amplifier jusqu’à la fin du livre. L’amour qu’elle porte au grand marin s’avère vite sans issue, même s’il offre un intermède permettant au lecteur de souffler.

 

 

Elle retourne sur l’île de Kodiak, elle qui ne veut que courir : « Je suis une runaway, une bête coureuse des routes, je pourrai pas changer. » Elle sait aussi que Jude : « Jamais il ne sera rassasié d’amour, de sexe, d’alcool. »

 

 

Le récit foisonne de rencontres. Le lecteur se perd avec tant de noms, tout cet alcool ingurgité, souffre mais Lili s’affirme et reconnaît : « Il faudrait trouver un équilibre, je dis, entre la sécurité, l’ennui mortel et la vie trop violente. » Enfin, elle peut écrire : « Je pose devant moi mes belles mains de pêcheur, les paluches informes que je ne peux plus plier. Je n’aurai plus peur de personne et je bois comme un vrai pêcheur. »

 

Photo ci-dessus : Catherine Poulain aux Correspondances de Manosque 2016.

Jean-Paul

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