Mathieu Belezi : Attaquer la terre et le soleil

Attaquer la terre et le soleil   par  Mathieu Belezi.

 Le Tripode (2022) 152 pages.

Prix littéraire du journal Le Monde.

Prix du Livre Inter 2023.

 

 

 

En me faisant partager la vie des premiers colons poussés par la France à traverser la Méditerranée, en me plongeant au plus près des atrocités commises par l’armée française en Algérie, Mathieu Belezi a réussi une vraie performance littéraire.

 

 

C’est pourquoi le Prix littéraire du journal Le Monde et le Prix du Livre Inter 2023 qui ont été décernés à Attaquer la terre et le soleil sont une formidable opportunité pour faire connaître et faire lire un livre qui sort des sentiers battus.

 

Si le style de Mathieu Belezi (photo ci-dessous) est fluide, la disposition de son texte surprend. Peu de points et de majuscules, des virgules rares, d’autres signes de ponctuation absents et, si c’est surprenant, cela ne m’a pas du tout gêné.

 

 

Entre Rude besogne et Bain de sang, me voilà plongé dans la réalité dure, atroce, insoutenable de ce que nos actions de « pacification » ont apporté à l’Algérie, au XIXe siècle. Notre volonté de civiliser, bref de coloniser un pays par la force, par tous les moyens, décidée en haut lieu, comme on dit, ne recule devant aucun sacrifice, aucun massacre. Les colons, pour la plupart braves gens du peuple séduits par la propagande officielle, se retrouvent plongés dans des épreuves, des souffrances difficilement soutenables et la plupart y laissent la vie, emportés par des maladies terribles, ou tués par les autochtones qui n’acceptent pas d’être spoliés de leurs terres.

 

 

Séraphine, mariée à Henri et mère de deux garçons et d’une fille, raconte dans Rude besogne. Rosette, sa sœur et son mari, sont du voyage aussi. Cela donne un récit émouvant, sensible, déchirant comme dans cette page où elle détaille son quotidien  sans occulter les moindres détails les plus concrets

qui font que notre vie est supportable ou non. Quelles douleurs ! Quelles épreuves !

 

Quand le soldat prend le relais avec Bain de sang, le contraste est énorme. La liste des méfaits  causés par l’armée française s’allonge, dans des conditions extrêmes certes, mais avec la baïonnette qui transperce tous les êtres vivants qui se présentent, hommes de préférence, les femmes ayant droit au traitement que l’on imagine avant de passer de vie à trépas…

 

 

 

Mathieu Belezi est encore original lorsqu’il glisse, en italiques, un paragraphe de commentaires qui se voudraient objectifs, ce qui irrite beaucoup notre soldat qui s’écrie : « suffit ! suffit ! » avant d’obéir aveuglément aux ordres de son capitaine, véritable fou furieux qui se distingue par sa fougue et sa volonté d’occire le maximum de ceux qu’il appelle des « guenillards ».

 

 

Quand Séraphine répète régulièrement « sainte, sainte mère de Dieu » et se pose de plus en plus de questions sur sa foi aveugle, le soldat répète, à chaque intervention sanguinaire : « on n’est pas des anges »…

 

 

Attaquer la terre et le soleil est un livre absolument nécessaire qui permet d’éclairer de manière très concrète les ravages causés par la colonisation, ravages qui se poursuivent indéfiniment. Ici, tout se fait sous l’autorité du général Mac-Mahon, gouverneur général d’Algérie (1864-1870) avant d’être Président de la République en 1873 pour six ans. Cet éminent personnage qui pousse au maximum la colonisation de l’Algérie, rend même une visite aux colons qui tentent de survivre dans leur village fortifié, sans même descendre de son cheval de parade…

 

 

 

Pendant que les uns sont décimés par de terribles maladies, choléra, fièvre jaune, terribles diarrhées… les autres s’acharnent à exterminer les gens du pays refusant de se soumettre, à détruire, à violer, à piller sans état d’âme. Je n’avais jamais lu un livre aussi juste, aussi original.

 

 

 

Attaquer la terre et le soleil est une petite merveille de littérature !

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M
Je l'ai beaucoup aimé même si c'est un roman dur le message véhiculé est superbe et le personnage féminin extraordinaire. On ne peut que se sentir impuissant et profondément choqué, devant les conséquences de la colonisation. De lui j'avais aussi aimé "Un faux pas dans la vie d'Emma Picard" qui m'avait à l'époque bouleversée. Cet auteur mérite bien ses prix !
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J
Vous le dites très bien Manou et je suis complètement d'accord avec vous. Merci pour l'info à propos du roman précédent de Mathieu Belezi.
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