Diadié Dembélé : Deux grands hommes et demi

Deux grands hommes et demi    par  Diadié Dembélé.

JC Lattès (2024) 227 pages.

 

 

Originaires du même village agricole du Mali, deux amis, Manthia et Toko, confrontés à différents événements, les criquets, la sécheresse, vont être poussés à prendre des décisions importantes et à rejoindre la capitale Bamako, leur première étape. Un exode rural commun.

 

Manthia est issu d’une famille un peu déclassée socialement alors que Toko vient d’une famille enracinée dans la terre, une famille devenue clan et fondatrice du village, une grande famille à l’africaine avec de nombreux frères et sœurs.

 

À Bamako, ils pensaient pouvoir s’en sortir, mais a lieu un soulèvement populaire soudain contre le régime militaire de Moussa Traoré qui aboutit à son renversement le 26 mars 1991. Tout bascule, tout change. Pressés par la famille « d’aller en aventure ailleurs », les deux jeunes Maliens partent en France, pour Paris. Mais le cousin qui devait prétendument les accueillir dans son grand appartement est en fait hébergé lui-même dans un foyer de migrants. Sans papiers, ils vont devoir faire face et chacun le fera à sa manière...

 

 

Nous allons donc suivre l’aventure de ces deux grands hommes et demi, c’est-à-dire ces enfants qui n’en sont plus sans pour autant être encore des adultes, mais qui exposés à des difficultés qui pourraient les empêcher d’avancer, ne se lamentent pas et savent se défendre.

 

 

C’est Manthia, depuis un centre de rétention administrative, un lieu d’enfermement où sont retenus les étrangers auxquels l'administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français, qui raconte leur aventure qui s’étale sur une décennie, des années 1986 jusqu’au 23 août 1996. Cette date correspond à l’évacuation de trois-cents Africains sans-papiers, réfugiés depuis près de deux mois dans l’église Saint-Bernard à Paris (photo ci-dessous).

 

 

Ce qui fait toute la puissance et l’originalité du récit, c’est la manière dont Manthia nous révèle son parcours ainsi que celui de son ami. Espérant obtenir des papiers, il s’adresse à son avocat, parfois avec colère, ne comprenant pas pourquoi il se trouve enfermé là, lui qui ne voulait pas quitter son village, pas partir de Bamako, mais aussi à l’interprète dont il se sent plus proche.

 

 

Deux garçons et demi de Diadié Dembélé (photo ci-dessus), avec ces personnages intenses emportés dans une aventure voulue et souhaitée pour l’un, Toko, et non choisie mais imposée pour l’autre, Manthia, se déroulant il y a trente ans, pourrait tout aussi bien se passer aujourd’hui, tant, peu de choses ont changé.

 

 

Nul doute qu’il est un roman un peu autobiographique, ne serait-ce que parce que Diadié Dembélé a travaillé en tant qu’interprète au sein d’une association d’aide aux migrants. Il est aussi un roman sur l’amitié et sur la vie rurale au Mali avec ses coutumes et le poids des traditions patriarcales, son climat et ce fameux hivernage, cette saison des pluies, ses langues dont le bambara et le soninké, la rudesse des travaux agricoles aggravée par le réchauffement climatique et bien sûr l’exode rural qui en découle.

 

 

En inscrivant une partie de son récit dans les années 1990- 1991, l’auteur nous permet également de revoir un événement marquant de l’histoire du Mali.

Mais il est avant tout une profonde réflexion sur la migration et l’espoir qu’entretiennent les jeunes africains de trouver en France, en priorité du travail, et la possibilité de se réaliser.

 

 

Évidemment sur ces besoins, ces attentes, se sont greffés et engouffrés des profiteurs comme les cokseurs (passeurs), les marchands de sommeil, les employeurs sans scrupules,  prêts à tout pour s’enrichir sur la détresse, la solitude et le dos de ces migrants-aventuriers.

Outre la découverte du militantisme pour Manthia, c’est tout le mouvement des sans-papiers à Paris en 1996 que nous suivons au plus près.

 

 

La vivacité d’un langage fleuri, imagé et une écriture singulière, originale et créative, rendent ce roman un peu surprenant au début, très attrayant et très contemporain.

 

 

On aimerait tant que ce proverbe malien, en épigraphe du roman « Si l’on pouvait se balader avec une maison sur la tête, nul ne serait étranger sur cette terre » soit réalisable, pour ne plus assister à toute cette désespérance !

 

 

Je remercie les éditions JC Lattès et Babelio pour cette passionnante découverte.

 

Ghislaine

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A
Quelle chronique ! Bravo à vous pour le texte et les photos. J'ai particulièrement aimé ce second roman de Diadé Dembélé qui fait du bien en ces temps ou les exilés sont accusés injustement de tous les maux. Merci !
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M
J'aime le titre, l'histoire et la couverture...parfois je mets du temps à entrer dans la lecture d'auteurs africains, il faut s'habituer au style mais tu me donnes envie de découvrir celui-ci alors je le note. Merci
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