Riss : Le procès Papon, un fonctionnaire de Vichy au service de la Shoah

Le procès Papon,

un fonctionnaire de Vichy au service de la Shoah. 

par Riss.

 Les Échappés/Charlie Hebdo (1998 et 2017).

 

 

Le procès Papon, un fonctionnaire de Vichy au service de la Shoah, regroupe le remarquable travail de Riss (Laurent Sourisseau) qui était l’envoyé spécial de Charlie Hebdo – journal dont je suis un fidèle abonné - durant les six longs mois qu’a duré ce procès, du 8 octobre 1997 au 2 avril 1998.

 

Laurent Joly, historien, directeur de recherche au CNRS, a préfacé ce bel album, ouvrage indispensable permettant d’aller au fond du problème représenté par un homme qui occupa les plus hautes fonctions de la République française. En effet, s’il fut député, maire, préfet de police à Paris (1958-1966) et même ministre du budget sous Giscard, de 1978 à 1981, il fut secrétaire général de la Préfecture de Bordeaux, sous l’occupation, de 1942 à 1944.

 

Photo ci-dessus : Riss (à droite) et Laurent Joly au Mémorial de la Shoah.

 

Riss écoutait, observait, dessinait. Il était placé tout près de Papon et ne manquait pas de croquer ses mimiques, ses réactions véhémentes, sans oublier de noter ses réparties, tous en soulignant ses silences éloquents.

 

Ce procès arrive au bout de seize ans de procédure et c’est, en France, le troisième procès pour crimes contre l’humanité après Barbie en 1987 et Touvier en 1994. Les longs débats, le défilé impressionnant de frères, de sœurs, de fils, de filles, même de neveux et nièces de déportés jamais revenus du camp d’extermination d’Auschwitz, tout cela est bien rendu. Si, au premier coup d’œil, la lecture des bulles qui s’enchaînent et semblent se mêler, peut paraître rébarbative, il suffit de se plonger dans le texte noté manuellement par Riss pour être absorbé, captivé, impressionné par tous ces témoignages souvent émouvants.

 

 

Malgré tout, Riss n’oublie pas ceux qui viennent défendre Papon. Ce sont souvent des amis ou des personnes qui ont exercé le pouvoir comme Mesmer, Barre, Guichard ou encore l’ancien préfet Doublet et même Amouroux, journaliste, historien. Pour eux, Papon n’est ni responsable, ni coupable alors que de nombreux documents viendront démontrer le contraire

 

Le procès Papon est conté de manière vivante, bien illustré et tout est bien articulé et bien présenté. Cet album d’une grande qualité éditoriale s’articule en six grandes parties :

- Le curriculum vitae de Papon : les témoins de moralité ; les historiens.

- Les organisateurs des persécutions anti-juives à Bordeaux.

- Papon au service des questions juives de la préfecture à Bordeaux.

- Les crimes contre l’humanité reprochés à Papon : déportation de Léon Librach, convois du 18 juillet 1942, du 26 août 1942, du 21 septembre 1942, du 26 octobre 1942, du 25 novembre 1943, du 30 décembre 1943, du 12 janvier 1944 et du 13 mai 1944.

- Papon et la Résistance ; Papon et l’épuration ; les associations parties civiles.

- Les plaidoiries des avocats des parties civiles ; le réquisitoire du parquet ; les plaidoiries des avocats de la défense ; le verdict.

 

 

C’est, bien sûr, la quatrième partie la plus importante. Malgré ses dénégations, il est prouvé que Maurice Papon ne pouvait ignorer le sort réservé à ces 1690 juifs de Bordeaux livrés aux SS pour Auschwitz. Cet homme, secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, bien secondé par un secrétariat efficace et toujours en relation avec les nazis installés dans sa ville, fournissait des listes, faisait même du zèle. Comme beaucoup d’autres, il n’hésita pas, à la Libération, à se faire passer pour un grand résistant…

 

 

 

L’ensemble de cet album n’est jamais monotone car Riss varie son récit avec des doubles pages, quelques touches de couleur, ajoutant des détails révélateurs et insérant des documents incontestables comme ces photos et articles parus dans Match en 1938 et 1940. Je regrette juste que ce livre ne soit pas paginé et qu’une table des matières ne recense pas les grandes parties de l’ouvrage.

 

 

Toujours pour rompre une certaine monotonie qui pourrait rebuter le lecteur, je remarque cette double page dactylographiée racontant l’hallucinant aller-retour de Marie Reille, envoyée à Auschwitz par Pierre Garat, subordonné direct de Papon, au Service des questions juives.

 

 

Enfin, comment ne pas s’attarder sur cette pleine page impressionnante avec un Papon, visage fermé, bras croisés - portrait sévère repris sur la couverture de l’album – l’homme est entouré par une cascade de mots résumant bien la vie de cet homme à la préfecture de Bordeaux.

 

 

 « Pendant deux mois, la cour d’assises a examiné les neuf cas de crimes contre l’humanité reprochés à Maurice Papon. Pendant deux mois, la cour d’assises a résonné des mêmes mots, des mêmes expressions, revenant inlassablement. Pour exterminer 6 millions de Juifs, une vingtaine de mots suffisent… »

 

 

Le procès Papon, un fonctionnaire de Vichy au service de la Shoah, est un extraordinaire travail réalisé par Riss (photo ci-dessus) et je remercie Babelio et les éditions Les Échappés / Charlie Hebdo de m’avoir permis de plonger dans cette tragique période à n’oublier sous aucun prétexte.

 

 

PS : jusqu’au 3 mars 2024, au Mémorial de la Shoah, à Paris, une exposition présente : « Riss : le Procès Papon »

 

 

Jean-Paul

 

 

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T
Je partage vos regrets sur l'absence de pagination, de table des matières, et peut-être même d'index... <br /> L'exposition montre tout le travail de Riss, depuis la captation "à la volée (croquis et notes) jusqu'aux pages "montées" avant d'être imprimées. Les grands textes explicatifs qui accompagnent les documents exposés donnent des éclairages tant sur les faits qui se sont déroulés à Bordeaux que sur le procès, ainsi que sur les décennies qui séparent les deux périodes.<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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D
merci d'en parler, et de nous le faire découvrir ! si j'ai la chance d'aller à Paris avant début mars, j'espère que je pourrai aussi voir l'exposition
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D
Profite de la visite si tu peux, Dominique, car tu verras tout le travail de Riss, ses esquisses de planches, ses notes, etc...
M
Merci pour cette superbe chronique. C'est en effet une période de l'histoire à ne pas oublier et cet album doit être vraiment intéressant à découvrir...je vais aller voir si ma médiathèque le possède ou pas encore.
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J
Merci Manou !
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