Kamel Daoud : Meursault, contre-enquête

Meursault, contre-enquête     par    Kamel Daoud.

Actes Sud (2014) 152 pages ; Babel (2016) 160 pages ; À vue d’œil (2015) 260 pages.

Prix François Mauriac de la région Aquitaine 2014.

Prix des cinq continents de la Francophonie 2014.

Prix Goncourt du Premier roman 2015.

 

 

Kamel Daoud (photo ci-contre), journaliste pour Le Quotidien d’Oran, aime et admire Albert Camus. Cependant, il lui fait un reproche important : ne jamais citer le nom de l’homme tué par Meursault, sur une plage d’Alger, un assassinat raconté dans L’Étranger, chef-d’œuvre paru en 1942. Il le nomme simplement l’Arabe et cela revient vingt-cinq fois dans ce roman. Il n’a même pas un prénom. Comme l’écrit Kamel Daoud : « … on ne tue pas un homme facilement quand il a un prénom. »

 

 

Ici, l’auteur se met dans la peau du jeune frère de la victime, Haroun, qui, au soir de sa vie, se confie, dans un bar d’Oran, à un inconnu, « monsieur l’inspecteur universitaire ». À son tour, il ne cite jamais Camus et fait comme si L’Étranger avait été écrit par l’assassin, Mersault lui-même.

 

 

Personnage important du récit, la mère qu’il nomme M’ma, est omniprésente. Elle est même derrière lui lorsqu’il commet à son tour un crime : « Le Français qui avait eu le malheur de venir se réfugier chez nous cette nuit d’été 1962, moi, avec mon bras qui ne retombait pas après le meurtre, M’ma avec sa monstrueuse exigence enfin vengée. »

 

 

Joseph Larquais, parent des propriétaires qui employaient M’ma, est comme une victime expiatoire du meurtre de celui qu’il nomme enfin Moussa Ould el-Assasse. Ces Français ayant pris la fuite, Haroun et sa mère s’étaient installés dans leur maison, à Hadjout, ex-Marengo, comme cela s’est passé presque partout lors de l’indépendance de l’Algérie.

 

 

L’écriture est précise, agréable et ne ménage personne. Lorsque Haroun et sa mère quittent Alger, il parle d’ « un immense labyrinthe fait d’immeubles, de gens écrasés, de bidonvilles, de gamins sales, de policiers hargneux et de plages mortelles pour les Arabes. » Plus loin, il ajoute : « Alger, dans ma mémoire, est une créature sale, corrompue, voleuse d’hommes, traitresse et sombre. »

 

 

Puis, il parle de la société algérienne depuis l’indépendance, de la religion aussi lorsque son voisin récite le Coran à tue-tête : « La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas… aller à Dieu à pied mais pas en voyage organisé… je déteste la religion et la soumission… » Il n’oublie pas cette langue française apprise pour devenir « l’instrument d’une enquête pointilleuse et maniaque. »

 

 

Enfin, il y a l’amour rencontré grâce à Meriem qui enquête à partir d’un livre d’un auteur célèbre qui avait raconté la mort d’un Arabe et en avait fait un livre bouleversant « comme un soleil dans une boîte. » Haroun en tombe amoureux dès la première minute mais : « Elle appartient à un genre de femme qui, aujourd’hui, a disparu de ce pays : libre, insoumise et vivant son corps comme un don, non comme un péché ou une honte. »

 

Kamel Daoud écrit avec son cœur et ne mâche pas ses mots au risque d’être menacé dans sa vie même, une raison de plus pour lire Meursault, contre-enquête.

Jean-Paul

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Thème Magazine -  Hébergé par Overblog