Philippe Jaenada : Sans preuve & sans aveu

Sans preuve & sans aveu    par  Philippe Jaenada.

Mialet-Barrault (2022) 250 pages.

 

 

Le 17 mars 2004, à une vingtaine de kilomètres de Bordeaux, deux jeunes gens, Julien et Damien s’apprêtant à aller retrouver des amis, aperçoivent de la fumée, beaucoup de fumée, des flammes aussi, s’élevant du toit de la vieille maison voisine.

 

 

À l’intérieur, est retrouvée, la tête ensanglantée, Marie Cescon, 88 ans. Inanimée, elle est saisie par ses voisins et extraite de la maison. Les pompiers ne pourront pas la réanimer...

 

 

Les enquêteurs se focalisent dès le départ sur un homme Alain Laprie, le neveu préféré de Marie.

 

Mis en garde à vue le 22 juin 2004, il est remis en liberté 11 heures après.

 

Quelques années plus tard, pour se délivrer d’un lourd secret dit-il, son oncle Georges, un frère de Marie, intéressé par l’héritage, l’accuse. Il déclare aux gendarmes que son neveu s’est confié à lui quelques jours après le décès de l’octogénaire, qu’il lui a révélé être l’auteur du crime : « C’est moi qui ai fait le coup », cette confession de l’oncle sera répétée devant le juge d’instruction.

 

 

Le procès prévu à Bordeaux le 20 juin 2016 est annulé et renvoyé au 26 novembre 2018. Alain Laprie est acquitté au bénéfice du doute, le témoignage bien tardif de l’oncle, décédé  en 2014, et nié par l’accusé, étant le seul élément du dossier.

 

Dix jours plus tard, le parquet général fait appel de la décision.

 

Après seize années d’instruction, Le 17 février 2020, au palais de justice d’Angoulême, sans témoin, sans preuve et sans aveu, la cour d’assises condamne Alain Laprie à 15 ans de réclusion criminelle.

 

Il est remis en liberté le temps que la justice examine son pourvoi en cassation. La cour de cassation rejette le pourvoi et il dort en prison depuis le 2 septembre 2021.

 

En août 2021, alors que le dernier (et excellent) roman de Philippe Jaenada vient de paraître, roman sur lequel il a passé près de quatre ans à travailler, celui-ci souhaite passer à autre chose et peut-être arrêter avec ce genre de sujet.

 

 

 

Et à quelques jours de l’incarcération d’Alain Laprie, c’est à l’issue d’une signature au Cap Ferret,  que son ami libraire lui parle de cette histoire de fous, de cet ami qui a un gros problème avec la justice et il le lui présente.

 

 

Touché par cet homme et son histoire, l’auteur ne se contente pas de sa seule intuition et se plonge dans le dossier d’instruction de l’affaire, dossier qui va le convaincre qu’il ne peut s’agir que d’une erreur judiciaire.

 

 

Décortiquant et épluchant minutieusement le dossier judiciaire comme il l’a déjà si bien fait dans ces précédents bouquins que ce soit dans La petite femelle pour réhabiliter Pauline Dubuisson, dans La Serpe pour Henri Girard ou Au printemps des monstres pour Lucien Léger, cette fois sans digressions sur ses problèmes de santé ou la vie de ses proches, sans se rendre sur les lieux, sans rencontrer personne, il écrit ce livre, dit-il, dans l’urgence afin de réhabiliter un innocent accusé dans une affaire où l’enquête a été menée entièrement à charge. Un acharnement de l’instruction pour pouvoir le déclarer coupable sans pour autant qu’il y ait la moindre preuve, notamment avec cette histoire de feu qui a couvé.

 

 

Dans ce dossier de rivalités familiales, maintes choses l’ont interpellé et Philippe Jaenada (photo ci-dessus) explique et décrit tout cela très bien. C’est assez technique et parfois, de longues phrases ont été nécessaires pour bien faire visualiser et comprendre, un schéma des lieux en début d’ouvrage permet de bien suivre le cheminement de sa pensée. Pas la moindre preuve. Le témoignage de son oncle, sur lequel vont s’appuyer les jurés est complètement invraisemblable. De nombreux éléments sont en sa faveur et il a notamment un alibi. Mais, persuadés qu’ils ont trouvé le coupable, les gendarmes et les juges d’instruction se fiant à leur intime conviction vont s’acharner sur lui pour démontrer  que ce ne peut être que lui.

 

 

C’est ainsi qu’une dernière expertise finit par mettre en avant que le feu a pu couver, contrairement à ce qu’avaient conclu les experts précédents et ce pour que cela puisse coïncider avec la présence d’Alain Laprie dans la maison. Autre acharnement avec la bouteille de gaz ouverte...

 

Cette enquête focalisée sur une seule personne montre de nombreuses incohérences. De graves insuffisances également sont à déplorer. Aucune analyse d’ADN n’a été faite auprès des voisins ou de l’entourage, pourtant, sur un mégot retrouvé près du corps, il y avait un ADN n’appartenant ni à Alain, ni aux cousins…

 

Pourquoi Alain Laprie pour lequel aucune preuve ni aveu n’est dans le dossier a-t-il été condamné ?

 

La présomption d’innocence comme c’est le cas dans cette affaire, qui est prévue par le code pénal, ne doit-elle pas, au bénéfice du doute,  bénéficier à l’accusé et l’empêcher d’être condamné ?

 

Mais l’on sait malheureusement qu’il existe de nombreuses histoires comme celle-ci, où le bénéfice du doute et la présomption d’innocence n’existent pas.

 

Cette affaire révèle les failles d’un système judiciaire fort mal en point, en train de se déliter par manque de moyens, d’énergie et de volonté.

 

 

J’ai été convaincue par l’analyse méticuleuse et détaillée du dossier de cette affaire menée avec tellement de précision et de sérieux par Philippe Jaenada et été entièrement persuadée de sa sincérité.

 

J’ai été scandalisée et bouleversée à la lecture de ce livre, incrédule et atterrée devant la manière dont a été menée cette enquête et effarée sans pour autant être complètement surprise par l’inefficacité de notre système judiciaire. En effet, des erreurs judiciaires ont déjà été commises, on le sait et une amie avocate à qui l’écrivain parlait du projet de son livre confirme : « C’est loin d’être rare, crois-moi. »

 

 

Sans preuve & sans aveu, selon son auteur a pour seul objectif d’obtenir la réhabilitation d’un innocent. Mais ce livre propose en fait une profonde réflexion sur le fonctionnement de la justice.

 

En attendant, un homme est privé de liberté et croupit en prison, laissant femme et enfant désemparés tandis que le ou les  coupables courent toujours.

 

 

Seul un fait nouveau permettrait un procès en révision mais l’espoir est ténu car l’on sait qu’il s’agit d’une procédure qui aboutit rarement.

 

Incompréhension et colère sont les sentiments qui m’ont animée tout au long de ma lecture et ne sont pas prêts de s’éteindre.

Ghislaine

 

 

 

 

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Cet auteur me fascine par son obsession pour le sujet sur lequel il jette son dévolu. La serpe était un récit trop long, trop dense pour que j'y adhère comme à celui-ci.<br /> Votre mise en page ici est également d'une extrême minutie Ghislaine
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