Ian Manook : Le chant d'Haïganouch

Le chant d’Haïganouch    par   Ian Manook.

Albin Michel (2022) 380 pages.

 

 

J’ai retrouvé Ian Manook avec grand plaisir dans la suite de L’oiseau bleu d’Erzeroum : Le chant d’Haïganouch, un hymne familial au peuple arménien ainsi qu’une mise en lumière des immenses souffrances qui lui ont été imposées au cours du XXe siècle.

 

 

L’ensemble de ce deuxième opus s’étale de 1947 à 1960.

 

 

Rue du Hêtre-Pourpre, à Meudon, Agop et Haïgaz ne sont pas d’accord. Le premier est prêt à partir pour l’URSS car il croit aux promesses de Staline assurant que les Arméniens qui rentreront à Erevan seront bien reçus et pourront poursuivre leur vie au pays. Le second tente de décourager son ami mais n’y parvient pas.

 

Malgré toutes les réticences de sa famille, Agop, personnage fougueux et déterminé, embarque, à 46 ans, sur le paquebot Rossia, un bateau prévu pour trois cent cinquante passagers et sur lequel on entasse trois mille cinq cents personnes qui vont donc vite déchanter malgré les assurances du Parti Communiste Français.

 

Reviennent alors les principaux protagonistes de L’oiseau bleu d’Erzeroum, plus d’autres, bien sûr, ce qui fait que j’ai un peu de mal à m’y retrouver. 1947 : pendant qu’Agop et tous les Arméniens de France voient leurs bagages pillés, rencontrent d’autres Arméniens venus d’Égypte ou du Liban, tous logés à la même enseigne, c’est en Sibérie que Ian Manook m’entraîne, à Koultouk.

 

 

 

C’est là que continue de sévir l’âme damnée du roman, le camarade Anikine, tortionnaire d’Haïganouch qui est aveugle et prouve sa virtuosité au piano. Pliouchkine, son mari, est exécuté par l’homme de Beria et Haïganouch se retrouve seule avec Assadour, son fils.

 

Photo ci-dessus : Le Mont Ararat, aujourd'hui en Turquie mais symbole national de l'Arménie.

 

Les atrocités ne font que commencer ou plutôt se poursuivent avant de monter de plusieurs crans avec les déportations, le goulag, les sévices, le froid, le gel, les exécutions sommaires dont ne survivent que les plus forts ou les plus chanceux.

 

Photo ci-dessus : Erevan et le Mont Ararat.

 

Ian Manook met bien en valeur toute la solidarité entre les Arméniens, même si subsiste un malentendu entre ceux qui vivaient déjà sur place et ceux qui se sont laissés berner pour rentrer au pays.

 

 

Si les souffrances, les vengeances, les viols, les crimes reviennent souvent, Ian Manook réussit tout de même à ménager quelques moments de douceur, d’amour, d’érotisme même dans quelque isba bien cachée au fond des bois.

 

 

Se révèle enfin Le chant d’Haïganouch, ce poème mettant en avant le fameux oiseau bleu, texte mis en musique par Zazou. Il l’avait appris à Erevan et avoue qu’il a été écrit par Haïganouch Tertchounian : « ce texte raconte très exactement l’histoire d’Araxie, de sa petite sœur Haïganouch et d’Assina, qui aujourd’hui s’appelle Haïganouch aussi. »

 

 

Heureusement, Staline meurt le 5 mars 1953. Si le peuple défile trois jours durant devant son catafalque, mille cinq cents personnes sont étouffées ou piétinées au cours de cet hommage posthume. Cette disparition ne signifie pas la fin du calvaire de millions de prisonniers, de travailleurs forcés du goulag car d’autres contraintes seront vite imaginées pour s’acharner encore sur eux.

 

 

Si je ne cite que quelques éléments révélateurs de cette saga, il faut vraiment lire Le chant d’Haïganouch pour s’imprégner de cette époque pas si lointaine et ne pas oublier ces montagnes de douleurs, ces millions de vies abrégées sans vergogne sur ordre de politiques bien au chaud dans leur datcha.

 

 

 

J’ajoute qu’il faut aussi apprendre le rôle plus qu’ambigu de Mitterrand, alors ministre des Anciens Combattants et des Victimes de guerre en 1947. Son marchandage avec le pouvoir soviétique pour récupérer les Français prisonniers des Allemands et laisser rentrer les nombreux Russes aussi prisonniers des Allemands, s’est fait au détriment des Arméniens. Résultat : « en 1949, Staline a fait déporter vers la Sibérie quarante mille Arméniens dont une très grande partie des rapatriés de 1947. »

 

 

 

Au travers de l’histoire romancée de sa famille, Ian Manook (Patrick Manoukian) m’a permis de prendre conscience d’un terrible drame trop vite passé sous silence et oublié, noyé dans les autres drames de la Seconde guerre mondiale.

 

Pour toutes les victimes de cet odieux marchandage, L’oiseau bleu d’Erzeroum et Le chant d’Haïganouch, sont une belle performance littéraire défiant l’oubli et rendant hommage à une communauté au formidable sens de la solidarité et de la fête comme le prouve l’auteur à plusieurs reprises.

Jean-Paul

Autres livres de Ian Manook à retrouver sur Notre-jardin-des-livres :

- Yeruldelgger

- Les temps sauvages

- La mort nomade

- Heimaey

- Askja

- À Islande !

+ L'oiseau bleu d'Erzeroum, déjà cité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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M
Un auteur dont je n'ai lu jusqu'à présent que la trilogie "Yeruldegger" et Askja. Il me reste encore à en découvrir dont celui dont tu parles. Merci pour cette chronique
Répondre
J
Comme vous, j'ai découvert Ian Manook avec la trilogie Yeruldelgger. Depuis, je m'efforce de lire tous ses livres et je ne suis jamais déçu. <br /> L'oiseau bleu d'Erzeroum et Le chant d'Haïganouch sont vraiment différents car ils content l'histoire familiale de l'auteur au cœur de l'histoire dramatique du peuple arménien. C'est passionnant et terriblement émouvant.
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