Kaouther Adimi : Au vent mauvais

Au vent mauvais   par  Kaouther Adimi.

Seuil (2022) 260 pages.

Prix du Roman des Étudiants France Culture - Télérama.

 Prix Montluc Résistance et Liberté 2023.

 

 

 

Après Nos richesses et Les petits de Décembre, j’ai une nouvelle fois été séduite par la plume de Kaouther Adimi avec Au vent mauvais.

 

 

Le prologue du roman est là pour intriguer le lecteur avec ce vent mauvais qui a soufflé la nuit du 22 septembre 1972, un vrai vent qui arrive du Sahara et va recouvrir Alger de sa poussière rouge, mais aussi annonceur d’une tempête de jours difficiles.

 

 

Début des années 1920, trois enfants, Leïla, Tarek et son frère de lait Saïd grandissent dans un petit village de l’est de l’Algérie, au hameau de El Zahra. Tarek et Saïd dont l’amitié semble indestructible sont séparés à l’adolescence. Le brillant Saïd, d’une famille plus aisée part poursuivre ses études tandis que Tarek timide et discret reste au village et devient berger. Tous deux sont secrètement amoureux de Leïla. Celle-ci âgée de quinze ans, mariée contre son gré à un ami de son père ose le quitter et retourne chez ses parents, avec son fils, dans la réprobation générale.

 

 

À travers les destins croisés de ces trois personnages, Kaouther Adimi dresse une fresque certes rapide mais ô combien efficace de l’Algérie des années 1922 aux années 1992, de la période de colonisation jusqu’au moment où le pays bascule dans la guerre civile.

 

 

Elle retrace la colonisation, la Seconde Guerre mondiale, l’envoi des hommes au front et la façon honteuse dont ils seront ensuite accueillis à leur retour par les Français, la guerre pour l’indépendance de l’Algérie et l’arrivée du FLNle coup d’état de Boumedienne qui ne surprend pas la population habituée à observer en arrière-plan de la ville les chars de Gillo Pontecorvo en train de tourner le film La Bataille d’Alger, l’émigration vers les villes et pour terminer avec la montée de l’islamisme et le début de la guerre civile en cet été 1992 inaugurant cette funeste « décennie noire ».

 

 

Tout en dressant cette grande fresque de l’Algérie sur un siècle ou presque, Kaouther Adimi (photo ci-dessous) nous invite également à réfléchir sur le rôle de la Littérature et le pouvoir des mots.

 

 

La publication d’un livre par Saïd devenu écrivain va en effet bouleverser la vie de Leïla et Tarek. Il a pris pour héros ses deux amis et sous leur propre nom. Ils sont ulcérés de retrouver leur vie intime portée à la connaissance de tous et Leïla, personnage principal dans le roman, pose cette question : « Quel nom porte cette sorcellerie qui donne le pouvoir de deviner les corps, les pensées et les rêves les plus intimes de deux personnes ? » Elle pense que son prénom ne lui appartient plus, qu’elle s’est fait confisquer son identité, que son histoire a été salie, que son corps est connu de tous et que ce qui est écrit est écrit pour toujours.

 

 

C’est donc ce pouvoir des mots qui est évoqué ici, pouvoir réparateur, pouvoir salvateur comme l’affirme d’ailleurs Tarek en parlant de son collègue avec lequel il travaillait à Paris : « Et la littérature, se disait Tarek, c’était peut-être au contraire ce qui avait sauvé son binôme, ce qui l’empêchait de sombrer, de faire rouler hors de leurs orbites ses yeux-billes » mais, en contrepartie,  peut-on raisonnablement raconter l'histoire d'une famille ?

 

Inspirée par la propre histoire de ses grands-parents, Kaouther Adimi livre un portrait déchirant, la douloureuse tragédie de son peuple, de cette Algérie du XXe siècle.

 

Au vent mauvais est un livre tout en délicatesse. Avec une écriture concise et émouvante, Kaouther Adimi, parvient à faire ressentir les horreurs qu’a traversé l’Algérie, sans les décrire forcément mais en les suggérant de façon très subtile et malheureusement bien compréhensible.

 

De façon récurrente, elle insiste sur le fait que les guerres vous altèrent et vous abîment définitivement… mais termine par une note positive en revenant à El Zahra« les figues de Barbarie continuent de pousser ».

 

 

Ghislaine

 

 

 

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pfeuuuu ! encore un à lire ! ça donne envie, c'est sûr !
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