Mathieu Palain : Ne t'arrête pas de courir

Ne t’arrête pas de courir     par   Mathieu Palain.

L’Iconoclaste (2021) 422 pages.

Prix Interallié 2021.

Prix du Roman étudiants France Culture-Télérama.

 

 

 

Mathieu Palain et Toumany Coulibaly sont nés la même année, en 1988, à six mois d’écart et ont grandi tous deux dans la même banlieue, au sud de Paris.

 

Le premier est devenu journaliste, avec comme univers de prédilection, la prison, et écrivain alors qu’il rêvait d’être footballeur. Quant à Toumany Coulibaly, Malien d’origine, cinquième d’une famille de dix-huit enfants, il est un athlète hors-normes et un voleur multirécidiviste.

 

Quand Mathieu Palain tombe sur un article qui traite de cet athlète sacré champion de France du 400 mètres qui a choisi de gâcher son talent et sa vie et qui comparaît à nouveau devant le tribunal correctionnel d’Evry pour une tentative de cambriolage alors qu’il est actuellement en détention pour des faits similaires, il est aussitôt intéressé, ignorant si c’est le fait que ça parlait de sport ou de ce coin de l’Essonne où il avait grandi. Toujours est-il que, bien que Toumany Coulibaly ait exprimé clairement son désir de ne plus avoir affaire à des journalistes, il décide tout de même de lui écrire à Fresnes, lui disant son désir de le rencontrer. Ce n’est qu’un an plus tard qu’il aura une réponse, depuis le centre de détention de Réau où l’athlète a été transféré. Mathieu Palain fait sa demande de  parloir avec l’accord de Toumany et le bouquin démarre d’ailleurs avec la description détaillée de ce premier parloir. Le courant passe bien et l’auteur qui a du coup plein de questions a envie de revenir et il revient bientôt chaque semaine, pendant deux ans. Une amitié naît et chacun va parler à cœur ouvert et se dévoiler.

Il ressort de ces entretiens, un portrait absolument saisissant et bouleversant de cet homme surdoué dont l’existence aurait pu être toute autre. Difficile de ne pas être sensible à cet aveu de Toumany lorsqu’il pense que sa carrière de voleur débute quand la première fois de sa vie, il a eu honte pour sa mère suite à une réflexion d’un client dans un magasin, il n’avait alors que quatre ou cinq ans.

 

Il va ainsi dérouler le fil de sa vie et tout au long du récit, tout comme Mathieu Palain, et comme ses entraîneurs successifs, j’ai été prise d’empathie pour ce gars qui ne peut s’empêcher, même après son admirable prestation lui rapportant le titre de champion de France de France du 400 mètres en salle, en 2015 sans effort apparent, de partir quelques heures plus tard avec des complices cambrioler une boutique de téléphones portables, après avoir déposé sa médaille sur la table. J’ai ressenti également de l’admiration pour sa persévérance à se maintenir à un certain niveau pendant son incarcération et sa faculté à s’adapter aux conditions pour le moins non adéquates à ce genre d’entraînement.

 

 

Quel est cet appel impérieux qui le pousse à agir ainsi ? C’est ce que Mathieu Palain (photo ci-contre) essaie de décrypter.  Pour sa part, Toumany Coulibaly a, à un moment, affirmé : « Tu sais, Anne, c’est compliqué de te dire ça, mais j’ai plus d’adrénaline quand les flics me courent après qu’en remportant un 400 mètres. »

 

 

Certes, comme nous lecteurs, l’auteur voudrait que Toumany change, qu’il s’en sorte et qu’il devienne champion olympique mais la réalité est autre, comment résister à cette pulsion irrésistible qui affecte notre athlète ?

 

Tout en essayant de résoudre cette énigme, Mathieu Palain, en journaliste scrupuleux va s’interroger lui-même et tenter de déchiffrer ses propres obsessions et nous les confier. Et ainsi, deux récits de vie finissent par s’entrecroiser.

L’aspect sportif est vraiment réjouissant au contraire de l’aspect judiciaire particulièrement déprimant.

 

T. Coulibaly continue à s’entraîner et à courir dans les cours de promenade de ses lieux de détention, pour garder son niveau, avec l’espoir de reprendre à sa sortie si la Fédération le veut bien et rien n’est moins sûr. M. Palain, également, se met à courir lui aussi, et ils s’affronteront même, amicalement, lors d’une permission.

 

Cette enquête journalistique romancée offre un récit particulièrement vibrant et fort, absolument prenant qui rend compte des visites en parloir, de la réalité du monde carcéral avec les effets délétères de l’enfermement prolongé et le processus de désocialisation puis de déshumanisation qui se met alors en place, mais c’est également un récit plein d’humanisme.

 

Nul besoin d’être féru d’athlétisme pour apprécier et être emporté dans ce roman psychologique tout autant captivant que percutant : un vrai coup de cœur !

Tout en abordant la complexité de la vie et la cruauté du sport de haut niveau, Ne t’arrête pas de courir, en lice pour Prix des Lecteurs des 2 Rives 2022, est une profonde réflexion sur la délinquance, l’enfermement, la récidive et la prison, faisant dire à l’auteur : « Seuls les idéologues et ceux qui n’y ont jamais été confrontés peuvent croire ou dire – au fond quelle différence – que la justice est la même pour tout le monde ».

 

Magnifique Prix Interallié 2021 !

Ghislaine

 

Ne t’arrête pas de courir     par   Mathieu Palain.

L’Iconoclaste (2021) 422 pages.

Prix Interallié 2021.

Prix du Roman étudiants France Culture-Télérama.

 

 

En rencontrant Toumamy Coulibaly, en tentant de le comprendre, Mathieu Palain (photo ci-contre) s’est lancé dans une aventure risquée mais ô combien passionnante et enrichissante !

 

Très instructif aussi, N’arrête pas de courir débute avec le premier parloir entre Mathieu Palain, journaliste, et Toumamy Coulibaly, Champion de France du 400 mètres mais voleur multirécidiviste. Ils ont le même âge et ont grandi dans la même banlieue, au sud de Paris.

 

Débute alors une série de rencontres durant lesquelles Coulibaly se livre de plus en plus, exprime ses doutes, ses souffrances. Après avoir subi la surpopulation abominable de la maison d’arrêt, il est maintenant dans le centre de détention de Réau (Seine-et-Marne).

 

Sportif très doué pour courir le 400 mètres, une des courses les plus pénibles de l’athlétisme, un sport qui ne nourrit pas son homme, Coulibaly parle du Mali d’où vient sa famille, pays où il passe plusieurs années dans un village loin de Bamako. Si son père l’a envoyé au Mali rejoindre sa mère alors que celui-ci vide les poubelles à Paris, c’est parce que Toumamy, né le 6 janvier 1988, a déjà fait plusieurs bêtises.

 

Élève du CM1, il a volé la gameboy d’un camarade puis continue dans les magasins, pour l’adrénaline, sans en tirer profit. Déjà, à cet âge-là, il connaît sa première garde à vue de quatre heures.

 

Quand il revient en France, en 2004, il a 16 ans et s’intéresse aux filles. Trois ans plus tard, il rencontre Rita qui lui donnera trois enfants et ne l’a jamais abandonné malgré les vols, les cambriolages perpétrés par cet homme qui ne sait pas dire non lorsqu’on le sollicite pour un mauvais coup.

 

Construit en trois grands mouvements, le récit s’éloigne parfois de son principal sujet. Mathieu Palain fait part de ses expériences souvent en lien avec le milieu carcéral. Quand il évoque Lorentxa Beyrie, militante basque incarcérée depuis des années, lui reviennent en mémoire ses vacances au Pays Basque. C’est sûrement à partir de là que l’auteur a commencé à s’intéresser aux personnes détenues.

 

Il enquête sur la plus grande prison pour femmes à Rennes. Il part aux États-Unis pour rencontrer Dewey Bozelli, libéré de Sing Sing après vingt-six ans d’incarcération pour un crime qu’il n’a pas commis. Mathieu Palain va aussi à la rencontre des violeurs et pédophiles soignés dans l’hôpital pénitentiaire de Fresnes puis a connu aussi beaucoup d’autres lieux de privation de liberté, tout cela complété par une participation à des groupes de paroles et même une ascension du Mont Blanc avec deux hommes en détention à Bourg-en-Bresse qui n’avaient pas vu un arbre depuis deux ans.

 

 

L’intérêt de la lecture de N’arrête pas de courir ne décroît jamais car Mathieu Palain écrit de façon vivante et variée, n’abusant pas des dialogues, incluant même les courriers de Toumamy Coulibaly alors que ses permis de visite ont été suspendues.

 

 

En effet, plusieurs psychologues le mettent en garde, lui disant de « penser à se protéger » et obtiennent de la direction du Centre de détention cette suspension qui n’altère pas la relation entre ces deux hommes du même âge, sportifs tous les deux.

Si la fin du livre est ouverte, elle permet à Toumamy d’apporter des explications, tentatives de compréhension pour ces vols sans cesse recommencés comme au soir de son titre de Champion de France 2015 du 400 m, en salle. Dans la violence du système carcéral, Toumamy Coulibaly a tenté d’y voir plus clair, de se comprendre lui-même pour que son retour à la vie normale soit réussi. Rita, ses trois enfants et lui-même le méritent bien.

 

Quelle belle fin avec le texte de la chanson de Lluis Llach (photo ci-dessous) : Voyage à Itaque : « Bon voyage aux guerriers, pourvu que les dieux des vents leur soient favorables, que leurs filets se remplissent de lumière, d’aventure et de connaissance », poème envoyé par Lorentxa.

 

N’arrête pas de courir, de Mathieu Palain, fait partie des huit livres en lice pour le Prix des Lecteurs des 2 Rives 2022.

Jean-Paul

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Comme on vient de me l'offrir, je découvrirai vos chroniques après l'avoir lu !
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